Numéro deux de l’armée malienne à Gao, le lieutenant-colonel Nema Segara sillonne la grande cité du nord du Mali pour trouver les caches d’armes et rassurer.
Après deux semaines de fermeture, le grand marché incendié en février lors d’un raid djihadiste reprend du service. Suivie par des militaires, une télévision malienne et des badauds, «Nema» déambule entre les étals comme un politique en campagne. On la salue, on vient la voir, on la remercie.
Le message est ferme:
«Je vous demande d’être vigilants. Les infiltrations ont commencé par ici, c’est pour ça que ça a brûlé. On ne veut plus d’autres attaques», dit-elle aux femmes qui vendent viande, poissons et légumes dans une halle noircie par les flammes.
Le marché est bien approvisionné en poissons, malgré l’interdiction de naviguer en pirogue sur le fleuve Niger, par où les djihadistes se seraient infiltrés en ville pour leur raid. L’air sévère, la militaire va au bord de l’eau rappeler à l’ordre une trentaine de «bozos», des pêcheurs. Ils répondent qu’ils meurent de ne plus travailler.
Nema est née à Bamako, il y a une cinquantaine d’années, mais elle ne donnera pas sa date de naissance. Originaire du pays dogon (sud-est), elle a intégré l’armée en 1986. Quatre ans plus tard, elle part pour Paris, où elle suit une formation de santé de l’armée de terre au Val-de-Grâce.
«A Paris les gens ont un complexe de supériorité. Mais ceux qui ont voyagé ont du respect pour les autres», confie-t-elle à l’AFP.
Elle poursuit sa formation, au Sénégal et au Nigeria, et travaille au service des ressources humaines de l’armée malienne. Puis elle rejoint les Etats-Unis pour de nouvelles études militaires en Alabama, puis après quelques années au Liberia pour l’ONU, elle rejoint à Washington la National Defence University.
«Ici ce n’est pas Hollywood»
Elle rentre au pays en 2012 pour intégrer le commandement à Sévaré (centre), alors que des islamistes armés ont conquis facilement tout le nord du Mali. Elle a maintenant le grade de lieutenant-colonel de l’armée de l’air, chef de l’action «civilo-militaire» malienne dans la région, d’où les djihadistes ont été chassés depuis janvier par les troupes franco-africaines.
Dans la rue ensablée, une soixantaine de femmes l’attendent en rang, elles lui font fête. L’une d’elles, Fatoumata Maïga, se met au garde-à-vous:
«Merci! Merci! Que Dieu vous bénisse. Grâce à vous, on circule comme on veut. Maintenant nous sommes libres.»
«Elles sont contentes de pouvoir sortir, elles n’avaient pas le droit de parler aux hommes, de monter sur une moto», raconte-t-elle. Nema retire le voile que porte une petite fille, vestige du règne des islamistes: «Tu n’as plus besoin de ça.»
Elle-même sans enfant, elle mise sur les femmes.
«Nous sommes là pour la reconstruction du pays et ça passe d’abord par les femmes.»
Elle ne craint pas de faire preuve de «poigne», comme elle dit. A la polyclinique qui sert de gendarmerie provisoire, elle attaque bille en tête des défenseurs locaux des droits de l’Homme:
«J’ai entendu dire que vous disiez aux détenus qu’ils étaient libres de ne pas répondre. Ce n’est pas Hollywood ici. Ce n’est pas du cinéma. Des gens ont été violés, amputés. Nous sommes face à des terroristes.»
Réponse d’un militant:
«La façon dont les détenus sont gardés va à l’encontre de toutes les conventions.»
Devant la vingtaine de femmes d’une association, elle répète encore:
«Si vous voyez des choses inhabituelles, il faut les signaler.»
Un conseiller municipal lui glisse:
«Si vous voulez être candidate à la présidence, elles vous soutiendront.»
Sans hésiter, elle réplique: