Le franc CFA est-il l'ennemi de l’Eco ?

Les pays utilisant le franc CFA sont-ils le vrai obstacle à la monnaie unique de la CEDEAO ?


Le projet de monnaie unique au sein de la CEDEAO est une initiative économique et financière vieille comme l'organisation elle-même.

Depuis 1983, la Communauté Economique des Etats de l'Afrique de l'ouest qui souhaite passer de la "CEDEAO des Etats à la CEDEAO des peuples", a commencé à réfléchir à un outil monétaire commun qui permettra d'intégrer d'avantage leurs économies.

A plusieurs reprises, des dates de mise en circulation de la monnaie ont été avancées au terme des différentes rencontres au siège de l'organisation à Abuja (Nigeria).

Initialement prévu pour entrer en circulation en décembre 2009, le projet de l'Eco - la monnaie unique CEDEAO - a été reporté à janvier 2015 puis à 2020.

L'échéance de 2020 a été confirmée le 29 juin dernier lors du 55ème sommet de l'organisation.

"Depuis quelques années une task force présidentielle composée de la Côte d'Ivoire, du Nigeria, du Ghana et du Niger a été mise en place ainsi que plusieurs commissions techniques pour accélérer le processus de création de la monnaie unique.

"Les décideurs politiques et économiques de la région doivent avoir mis tous les moyens à leur disposition pour respecter cette date" indique Demba Moussa Dembélé, économiste et co-auteur de l'ouvrage "Sortir l'Afrique de la servitude monétaire : à qui profite le franc CFA ?".

Le CFA devient Eco

Si la marche vers la monnaie unique est pour certaines voix un acquis, nombreux sont ceux qui dans les milieux financiers s'inquiètent d'un projet qui risque d'être plombé par les défenseurs du franc CFA.

Sachant que tous les pays ne pourront pas satisfaire aux critères de convergence à la lecture des rapports internationaux sur la santé économique des pays d'Afrique de l'ouest, il est plus plausible que l'entrée en vigueur de l'Eco se fasse en deux étapes.

La première vague se fera avec les pays respectant les critères de convergence économique (majoritairement ceux de l'espace UEMOA) et une seconde phase avec les autres pays qui rejoindront le projet au fil du temps.

Un schéma qui semble bien calquer sur celui de l'Euro et qui fait fi du "principe de solidarité économique devrait être le sous-bassement de cette monnaie unique" s'inquiète l'économiste du développement Ndongo Samba Sylla.

Autre constat encore plus inquiétant, la sortie du président ivoirien Alassane Ouattara qui depuis Paris a indiqué le 9 juillet qu'à "terme le franc CFA s'appellera l'Eco".

"Les déclarations du président ivoirien ne constituent pas une surprise parce que les pays de l'UEMOA ne veulent pas visiblement couper le lien monétaire avec le trésor français et cela va rejaillir sur l'Eco" explique M. Ndongo Samba.

Ce "refus de divorcer" d'avec le franc CFA avait déjà suscité en 2017 une mise en garde du président Muhammadu Buhari qui a précisé que son pays n'avait pas l'intention de se mettre derrière un autre pays par le canal de l'utilisation d'une monnaie sous tutelle.

"Le Nigeria demande le divorce entre les pays CFA et le trésor français dans la marche vers la monnaie unique", rappelle Demba Moussa Dembélé.

Avant même sa mise en circulation, l'Eco risque d'être une pomme de discorde entre les pays CFA et les autre Etats de la CEDEAO ayant leur souveraineté monétaire.

Une cristallisation des positions qui risque de ralentir le projet de monnaie unique voir le faire échouer pour les plus pessimistes.

"Le président Ouattara nous a rassuré qu'en 2020 nous n'aurons pas de monnaie commune CEDEAO. Les pays CFA vont rester CFA et les autres pays vont rester tels qu'ils sont".

"Parce que je ne vois pas comment, les pays qui sont hors CFA aujourd'hui en 2020 vont accepter de sortir de la liberté monétaire pour venir s'engoncer dans la servitude monétaire" avance le professeur Mamadou Koulibaly.

L'UEMOA trop pressée

Selon l'économiste et homme politique ivoirien d'importants préalables politiques et économiques n'ont pas encore été atteints.

Dans le réalisme de la création d'une monnaie, au-delà de la volonté politique, plusieurs autres étapes sont à franchir.

"Il faut penser à la création des institutions en charge de la gestion de cette monnaie, penser à sa forme, l'appellation (cycle et signe monétaires), la création de l'union monétaire (CEDEAO), les statuts de la banque centrale et par la suite on travaille au statut de la monnaie pour la ratification, la campagne autour de l'Eco puis la mise en circulation de la monnaie" précise M. Koulibaly.

Autant d'étapes qui sont loin d'avoir été franchies et qui fait dire à Ndongo Samba Sylla que "l'échéance de 2020 pour l'Eco ne sera pas respectée bien que les pays CFA semblent presser d'y aller".

"Il y a anguille sous roche car selon les rapports ministériels de la CEDEAO elle-même, aucun pays ne respectait tous les critères de convergence en 2018" précise l'économiste sénégalais indiquant que "les projections actuelles permettent de constater que de nombreux pays ne pourront pas respecter tous les critères de convergence d'ici 2020".

M. Ndongo Samba reste convaincu que la logique des pro-CFA est de saper la dynamique vers l'Eco en faisant en sorte que les pays CFA "habitent le pays Eco et que les autres les rejoignent après" pour utiliser le franc CFA rebaptisé Eco.

Il s'agit juste d'une manière de faire "taire la critique envers la France et le franc CFA mais de maintenir derrière le mécanisme de la monnaie" précise M. Ndongo Samba.

L'économiste Demba Moussa Dembélé "soupçonne que les pays CFA ne veulent pas couper le cordon ombilical tout de suite" avec la France "et vont sans doute trainer les pieds".

Le projet visant à changer le franc CFA en Eco et à maintenir les mêmes relations institutionnelles avec la France est un échec avant l'heure reste convaincu M. Demélé qui précise que "si les autres pays ne réagissent pas le franc CFA risque de casser la dynamique monétaire au sein de la CEDEAO".



Mardi 23 Juillet 2019 08:08

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