Il faut revenir au début de 2009, en pleine crise financière post-Lehman Brothers, pour retrouver des cours du pétrole et des minerais aussi déprimés. Mardi 8 décembre, le baril de Brent a atteint son point bas à 39,81 dollars à Londres et, le lendemain, le West Texas Intermediate américain est passé à 37,16 dollars, terminant pour la troisième séance de suite à un plus bas. Depuis leur sommet de 2011, les prix ont chuté de 50 % à 60 %, en raison notamment d’un tassement de la demande de la Chine, qui absorbe plus de 20 % de ces matières premières et jusqu’à 70 % pour le minerai de fer. Dans une note sur les pays émergents publiée mardi, la Banque mondiale prévient que les cours resteront déprimés plusieurs années.
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L’évolution de l’or noir, surabondant au même titre que le cuivre, le fer ou le nickel, est liée à la féroce guerre des parts de marché que se livrent les grands producteurs. Les tensions au sein de l’Organisation des pays exportateurs de pétrole (OPEP) et le statu quo sur sa production décidé à Vienne, vendredi 4 décembre, ont entraîné une véritable onde de choc. Et une chute régulière des cours
Ventes au rabais
Si le cartel a refusé de fixer un plafond de production, alors que le marché regorge de brut, c’est en raison de l’opposition entre deux de ses poids lourds, l’Arabie saoudite et l’Iran, par ailleurs en conflit ouvert sur la Syrie, le Yémen et plus largement le leadership au Moyen-Orient. Cette décision des pétromonarchies du golfe, emmenées par les Saoudiens, pénalise lourdement des pays comme le Venezuela et l’Algérie et a envoyé un signal assez clair pour les mois à venir : il ne faut pas s’attendre, de la part du royaume wahhabite, à un changement de stratégie.
Depuis un an, il laisse les vannes ouvertes et vend son pétrole avec des rabais pour conserver ses parts de marché, quitte à laisser les cours s’effondrer. Il y a un an, le ministre saoudien du pétrole, Ali Al-Nouaïmi, avait fait preuve de jusqu’au-boutisme en affirmant qu’il suivrait cette stratégie même si le baril tombait à 20 dollars. Jusqu’à présent, la principale cible était la production des pétroles de schiste américains, qui ont fait des Etats-Unis le premier producteur mondial de brut. A 40 dollars le baril, les oilmen du Texas et du Dakota du Nord commencent à souffrir et leur production à décliner. L’accès au capital se tarit, les contrats de couverture (hedging contracts) leur assurant des débouchés sûrs arrivent à échéance et les gains de productivité ont atteint leurs limites. Dans son rapport
mensuel, publié mardi, le département américain de l’énergie indique qu’il s’attend à un net recul de la production début 2016.
Le moteur indien
Si la concurrence américaine est loin d’être terrassée, l’Iran apparaît comme une nouvelle menace pour l’Arabie saoudite – par ailleurs très inquiète de la multiplication des critiques contre les énergies fossiles à la COP21, à Paris. Après l’accord sur son programme nucléaire signé en juin avec les Occidentaux – et très critiqué par Riyad –, Téhéran attend avec impatience la levée des sanctions internationales au premier trimestre 2016 pour injecter 1 million de barils supplémentaires sur le marché. Objectif : passer rapidement de 2,8 à 3,8 millions de barils par jour. Au sommet de l’OPEP, le ministre iranien du pétrole, Bijan Namdar Zanganeh, a refusé tout plafonnement de sa production. D’autant plus que
la République islamique n’a, selon lui, « aucune responsabilité » dans la surproduction actuelle puisque son industrie pétrolière tourne à bas régime depuis l’embargo décrété en 2012 par les Occidentaux.
L’OPEP, dont le quota officiel est de 30 millions de barils par jour, en pompe aujourd’hui plus de 32 millions. Il n’est pas impossible qu’elle dépasse ce niveau historique en 2016 avec la montée en puissance de l’Iran et de l’Irak. Un retour de la Libye est également envisageable, malgré la situation chaotique dans ses provinces pétrolières. Elle ne produit actuellement que 400 000 barils par jour, très en dessous de son potentiel de 1,5 million de barils.
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Le marché mondial se retrouve donc sans boussole ni perspective d’un retour rapide à l’équilibre. Et ce, alors que l’économie chinoise ne donne aucun signe de reprise. Deux facteurs pourraient néanmoins contribuer à un début de rééquilibrage et de remontée des prix fin 2016. La production des pays non-OPEP devrait reculer, à commencer par celle des Etats-Unis et de la Russie, qui pompent à eux deux 21 millions de barils par jour. Mais les pétroliers russes Rosneft ou Lukoil sont dans une guerre sans merci avec la Saudi Aramco pour défendre leurs parts de marché, en Asie et depuis peu en Europe centrale.
Une reprise plus soutenue de la consommation pourrait aussi contribuer à un retour à l’équilibre. Sensible en 2015 à la faveur de prix très bas – notamment aux Etats-Unis, où la croissance est de retour –, celle-ci risque toutefois d’être moins soutenue l’an prochain. La demande chinoise demeure incertaine et c’est désormais l’Inde qui tirera le marché dans les prochaines années, indique un récent rapport de l’Agence internationale de l’énergie (AIE). Dans l’immédiat, les stocks s’établissent à des niveaux sans précédent. L’AIE les estime à 3 milliards de barils. Une réserve qu’il faudra, tôt ou tard, écouler.