Nous sautons beaucoup d’étapes en nous dotant d’infrastructures de nouvelle génération, car elles ne reflètent pas l’état réel de notre économie. Nous faisons face à des problèmes d’autosuffisance alimentaire, d’éducation, d’accès à l’eau potable et aux soins médicaux. Dans ce contexte, le Sénégal doit-il se vanter d’une nouvelle autoroute, d’un train express régional, d’un nouveau complexe sportif et d’une arène nationale flambant neuve ?
Un projet quasi inutile
Longue d’une centaine de kilomètres, l’autoroute Ila Touba est en train d’être réalisée à l’aide d’un prêt concessionnel d’un montant de 416 milliards de francs CFA (634 millions d’euros). Un prêt concessionnel présente beaucoup d’avantages, tels qu’un taux d’intérêt faible (le nôtre est fixé à 2 % sur vingt-cinq ans) et une possibilité d’exonération temporaire des remboursements. Mais tant qu’il n’y a pas de développement harmonieux sur l’étendue du territoire, ce genre de route est presque inutile.
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Cette autoroute sera dotée de postes de péage à Thiès, Khombole, Bambey, Diourbel et Touba. Quel sera le tarif ? Le Sénégalais lambda sera-t-il en mesure de l’emprunter si ce n’est pour la célébration du Magal de Touba [fête religieuse mouride] ? Sa construction a-t-elle des fins électoralistes, car le président peine à avoir de bons résultats à Touba ? L’étude de rentabilité a-t-elle été faite de manière correcte et concrète pour en connaître le retour sur investissement ?
La construction du centre hospitalier national de Pikine, à Dakar, aurait coûté un peu plus de 7 milliards de francs CFA, selon les chiffres disponibles sur le site de l’hôpital. Avec les 416 milliards de l’autoroute, combien d’établissements sanitaires aurions-nous pu construire à travers le pays afin que chacun ait accès à des soins médicaux de qualité ? Des dizaines… On aurait également pu moderniser les hôpitaux déjà existants et équiper les hôpitaux départementaux pour limiter les évacuations vers Dakar.
Dépenses somptuaires
Et que dire des 32 milliards de francs CFA dédiés à la construction de l’arène nationale hébergeant les combats de lutte ? Le Sénégal compte actuellement 6 369 salles de classe dites « provisoires ». Le coût approximatif pour les transformer en véritables lieux d’enseignement se monterait à 40 milliards de francs CFA. Pour la même somme, vaut-il mieux construire une arène nationale ?
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Entre le centre international de conférence Abdou-Diouf et le complexe sportif Dakar Arena, plus ou moins 126 milliards de francs CFA ont été dépensés. Sans oublier la promesse de la construction d’un stade olympique de 50 000 places en 2020. Ces dépenses somptuaires étaient-elles des priorités alors que sont négligés les investissements qui forment le socle de l’émergence ? A titre d’exemple, une usine de dessalement de l’eau de mer coûte 135 milliards de francs CFA et aurait réglé le problème de l’eau une bonne fois pour toutes.
Et notre cher train express régional, le fameux TER qui reliera Dakar à l’aéroport international Blaise-Diagne (57 km) ? Même la Banque mondiale a averti de la non-rentabilité de ce projet. Le gouvernement s’est entêté pour la mise en œuvre, d’un coût de 750 milliards de francs CFA dans l’un des 25 pays les plus pauvres du monde, classé 162e sur 188 selon l’indice de développement humain. Un pays qui compte 0,07 médecin pour 1 000 habitants, qui affiche un taux de pauvreté de 47 % et dont la dette publique représente 60 % du PIB…
Le pays court à la faillite
Nous mélangeons croissance économique et développement. La croissance n’est rien d’autre qu’une accumulation de richesses. Le développement, c’est l’amélioration de la qualité de vie. Nous sommes un pays pauvre. Nous devons donc bâtir notre nation sur des fondations solides – la santé, l’éducation, l’accès à l’eau potable – plutôt que d’enterrer des milliards qui n’ont presque aucun retour sur investissement. Développons sérieusement notre agriculture, qui pourra créer un effet d’entraînement des autres secteurs de l’économie.
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A ce rythme, le Sénégal court à la faillite. En 2017 déjà, nous avons eu des difficultés à payer le service de notre dette. Si nous n’arrivons plus à le payer intégralement, les taux d’intérêt augmenteront. S’ils augmentent, nous serons encore moins capables d’assurer nos remboursements. Nous ne bénéficierons plus de prêts… En revanche, les impôts augmenteront, ainsi que le prix des denrées de premières nécessité. Les subventions publiques s’arrêteront, les effectifs de la fonction publique seront revus à la baisse. La dernière fois que la France a fait défaut sur le service de sa dette, cela lui a pris cinquante ans avant qu’elle ne puisse emprunter de nouveau.
Le PSE n’est pas réaliste. C’est un plan égoïste conçu pour fournir à court terme un bilan au chef de l’Etat, dans la perspective de l’élection présidentielle de 2019. Mais un prétendu bilan vaut-il la peine de sacrifier le Sénégal et ses générations futures ? Il faut revoir le PSE, sous peine de foncer droit dans le mur.
Mohamed Dia est consultant bancaire au Sénégal.