Parmi les modes de communication les plus prisés par les jeunes, le « Short message service » (Sms) ou texto figure en bonne place. Il s’est érigé en règle dans les habitudes de bon nombre d’usagers du téléphone portable. Cependant, des inquiétudes planent sur la bonne maîtrise de la langue française, en raison des styles d’abréviations exagérées des jeunes, aux antipodes des normes d’écriture.
Texto, Sms, message…, les vocables n’en manquent pas pour qualifier ces petits textes (160 caractères) que beaucoup de gens envoient à partir de leurs téléphones portables à d’autres. Discret, efficace, ludique, souvent codé avec une écriture abrégée ou phonétique, le Sms est devenu, à l’intervalle de plus de deux décennies, un moyen de communication privilégié pour la classe des jeunes, surtout les élèves. Un tour effectué dans quelques établissements de la capitale permet de s’en convaincre. 10h15 au Lycée Seydou Nourou Tall, en ce lundi matin. L’heure est à la recréation. Les va-et-vient incessants des élèves attirent l’attention de tout passant.
Sur place, de petits groupes se forment de part et d’autre, devisant sur divers sujets. La cour de cet établissement est ainsi plongée dans une ambiance survoltée. Air très réticents, au départ, les élèves daignent enfin s’ouvrir à nous après leur avoir décliné notre identité. Il s’agit d’un groupe de jeunes filles, vêtues de leur blouse, en train d’évoquer des cours et exercices du matin. Un autre obstacle semble se poser avec ces filles qui refusent, en chœur, d’aborder avec nous des questions de Sms, qu’elles qualifient « affaires confidentes ». « Pourquoi, voudrez-vous qu’on vous parle des choses qui relèvent du secret personnel », lance, dans la foulée, Ndèye Rokhaya Camara, élève en classe de 1ère S. Qui a vite coupé court aux conversations.
Astou Sène, une autre élève plus compréhensible, portable à la main, accepte de nous plonger dans l’univers de ses Sms, mais avec une stricte surveillance sur la manipulation de son portable. « Je peux juste vous montrer un texto que tout le monde peut lire », estime-t-elle. « Kw 2 9, stp toom, si tu vi1 n’oubli pas mon livre », observe-t-on sur l’écran de l’appareil de Astou. Voilà un de ses messages, destinés à une de ses camarades de classe, qui fait fi aux normes d’écriture de la langue officielle. « Avec ces abréviations, je deviens plus efficace dans la rédaction du texto. En même temps, elles me permettent d’économiser de crédit », se justifie-t-elle. Compte tenu du nombre de caractères (160) très limités dans le téléphone portable, les adeptes du Sms sont passés maîtres dans l'art de l'abréviation. C’est ainsi que beaucoup d’entre eux cherchent des astuces pour faire passer leur message dans un langage codé, avec un coût moins élevé. On assiste alors à une réduction des mots aux consonnes, des lettres qui remplacent des sons, de même qu'un chiffre peut substituer un son. « Nous n’avons pas assez de temps pour écrire intégralement un texto destiné à un ami ou à une autre personne, il suffit juste de dire l’essentiel en des termes simples, courts et significatifs », explique, pour sa part, Anta Gaye, élève en classe de Terminale.
Interdiction des parents
Avec ce nouveau style de communication, les usagers écrivent comme ils entendent, comme ils sentent, il n'existe pas de norme. Il n'y a presque plus de ponctuation, plus de majuscules, ni d'accents qui font perdre un temps précieux. Même si le langage Sms, de l’avis de certains utilisateurs, offre l’opportunité de gagner en rapidité, par les abréviations, d’autres par contre tentent, tant bien que mal, à rédiger correctement leurs textes. C’est le cas de Benjamin Tine, élève en classe de Seconde au Lycée Blaise Diagne, qui prend le temps nécessaire pour écrire entièrement ses messages. Ceci, confie-t-il, fait suite à une mise en garde de son père, qui lui a interdit, « strictement », de faire usage aux écritures phonétiques ou symboliques.
Cet élève, se voulant plus convaincant, nous relate ainsi son aventure à la maison, il y a eu tout juste deux mois. « Un jour, j’étais à court de crédit, et j’ai pris le portable de mon père pour envoyer quelques mots codés à un de mes frères. Et, c’est après que mon père a découvert le texto, qu’il m’a intimé de ne plus rédiger des messages avec des abréviations ». Pour Ibrahima Diop, un autre élève rencontré dans la cour de cet établissement, très collé à son portable, les Textos offrent aussi l’avantage de pouvoir être archivés, relus et commentés entre amis. Toutefois, les non-initiés se perdent facilement devant le langage Sms codé, qui fait fureur dans l’espace des jeunes, dont la plupart des parents restent dubitatifs devant ces conversations incompréhensibles.
Mame Marie Ndiaye, professeur de lettres : « Le langage Sms aggrave la nullité déjà criarde des élèves et des étudiants »
Une entorse et une menace à la langue française, voilà comment Mame Marie Ndiaye, présidente de L'Association des professeurs de Lettres classiques, juge l’usage abusif des Sms ou textos par les jeunes.
Le Sms est utilisé, surtout par les jeunes, comme un moyen privilégié de communication. Comment appréciez-vous cela ?
« Le Sms est utilisé par les jeunes, mais aussi par les adultes, de surcroît les enseignants, ce qui est absolument scandaleux ! C'est une entorse à la langue, aussi grave que n'importe quel solécisme ou n'importe quel barbarisme. Et si ce sont des enseignants qui commettent des solécismes et des barbarismes, eux qui doivent les corriger chez les élèves et les étudiants, vous conviendrez que c'est un état de fait très inquiétant! J'en suis scandalisée et outrée ! »
Ce langage Sms représente-t-il une menace pour le français, si oui comment ?
« Personnellement, je suis incapable de lire le langage dit Sms. Chaque fois que quelqu'un m'envoie un texte écrit dans ce galimatias, je lui renvoie le texte en lui disant »: Parlez-moi français : je ne comprends pas cette langue étrangère! ». Bien sûr que ce phénomène est une menace pour la langue française, puisque c'est un fléau qui accentue sa déliquescence, et aggrave la nullité déjà criarde des élèves et des étudiants, majoritairement analphabètes, au sens étymologique de celui qui ne sait ni lire, ni écrire le français. Ce qu'on entend les élèves, étudiants et adultes dire quotidiennement dans les radios et télévisions est lamentable et scandaleux. C’est cauchemardesque !!! »
« Personnellement, je suis incapable de lire le langage dit Sms. Chaque fois que quelqu'un m'envoie un texte écrit dans ce galimatias, je lui renvoie le texte en lui disant »: Parlez-moi français : je ne comprends pas cette langue étrangère! ». Bien sûr que ce phénomène est une menace pour la langue française, puisque c'est un fléau qui accentue sa déliquescence, et aggrave la nullité déjà criarde des élèves et des étudiants, majoritairement analphabètes, au sens étymologique de celui qui ne sait ni lire, ni écrire le français. Ce qu'on entend les élèves, étudiants et adultes dire quotidiennement dans les radios et télévisions est lamentable et scandaleux. C’est cauchemardesque !!! »
En tant que professeur de français, comment comptez-vous agir afin de mieux préserver cette langue face à la percée remarquable des Sms favorisée par l'apparition des réseaux sociaux ?
« En tant que professeur de Lettres classiques, je dénonce l'hypocrisie qui consiste à clamer haut et fort que le Sénégal abritera le prochain sommet de la Francophonie, et de fermer les yeux sur l'extinction pure et simple de la langue française au Sénégal, du fait que plus personne, dans aucun secteur d'activité, ne parle plus cette langue. Elle n'est plus parlée, ni dans les ministères, ni dans les bureaux, ni dans les écoles, ni dans les rédactions. Cette situation est, du reste, anticonstitutionnelle, puisque c'est la langue officielle, et l'adjectif officiel signifie: ce qui fait autorité !
« En tant que professeur de Lettres classiques, je dénonce l'hypocrisie qui consiste à clamer haut et fort que le Sénégal abritera le prochain sommet de la Francophonie, et de fermer les yeux sur l'extinction pure et simple de la langue française au Sénégal, du fait que plus personne, dans aucun secteur d'activité, ne parle plus cette langue. Elle n'est plus parlée, ni dans les ministères, ni dans les bureaux, ni dans les écoles, ni dans les rédactions. Cette situation est, du reste, anticonstitutionnelle, puisque c'est la langue officielle, et l'adjectif officiel signifie: ce qui fait autorité !
Le Sénégal a un énorme, énorme travail de réhabilitation de la langue française à accomplir. Il faut que le français reprenne la place qui lui est due dans l'enseignement et dans l'administration. Sans la reconquête de cette langue, socle de la Francophonie, mais aussi et surtout, outil de travail par lequel passent les enseignements, on continuera d'assister à cette scène ridicule, ô combien, d'étudiants qui vous disent détenir leur Master, et qui sont en fait analphabètes ! On continuera également d'assister à la scène, ô combien lamentable, de journalistes qui ânonnent leur textes ! Mais enfin de qui se moque-t-on ? Il ne faut surtout pas rater l'occasion de la célébration du prochain sommet de la Francophonie au Sénégal, pour se réconcilier avec la langue de Césaire, Voltaire, Hugo, Rimbaud, Senghor...et les autres !