Depuis le 12 janvier, au lendemain de l'intervention française dans le pays pourcontrer, à la demande des autorités de transition, la percée de rebelles islamistes dans le sud du pays (où se trouve la capitale, Bamako), le Mali avait été placé sous état d'urgence. Celui-ci a été levé pour permettre aux candidats de mener leur campagne. Tous les acteurs concèdent que le calendrier est court et contraignant, si la date du 28 juillet est maintenue.
Plus de 3 000 soldats français de l'opération Serval se trouvent encore au Mali. Ils pourraient prêter main-forte aux casques bleus de la Minusma, la mission de maintien de la paix de l'ONU qui assure la sécurité des élections.
"ABOUTIR À DES ÉLECTIONS CONSENSUELLES"
Le Mali, depuis un an et demi, a frôlé la catastrophe. Le président Amadou Toumani Touré avait été renversé le 22 mars 2012, à quelques jours de l'élection présidentielle, par un coup de force de militaires lui reprochant son incapacité à répondre à l'avancée d'une rébellion touareg, le Mouvement national de libération de l'Azawad (MNLA), alliée à des groupes armés islamistes. L'opération avait accéléré la débandade de l'armée régulière : quelques semaines plus tard, les groupes djihadistes, après avoir marginalisé le MNLA, tenaient plus de la moitié du territoire. A Bamako, la junte, écartée du pouvoir par des pressions internationales, conservait une forte influence, et le pays était coupé en deux.
La percée vers le sud des rebelles islamistes (dont Al-Qaida au Maghreb islamique), lancée le 10 janvier, déclenchait une intervention militaire française. L'opération Serval, avec l'appui de contingents africains, chassait la coalition islamiste des principales villes du nord du Mali.
Les autorités n'auront donc eu que quelques mois, dans un pays à peine stabilisé, pour tenter d'organiser un scrutin. Environ un million d'électeurs risquent de se trouver dans l'impossibilité de voter, dont plus de 350 000 jeunes de 18 ans. "Tout ce que l'on espère, c'est d'aboutir à des élections consensuelles. Obtenir un score qui ne soit pas contestable, sans quoi cela rajouterait une crise à la crise", se rassure le général Siaka Sangaré, chef de la Délégation générale aux élections, qui table sur un taux de participation modeste, évalué entre 30 et 35 %.
"ENTÊTEMENT QUI CONFINE AU FÉTICHISME"
Sept candidats appellent à un report du scrutin. Parmi eux, Tiébilé Dramé, qui a mené les accords de Ouagadougou visant à obtenir des élections à cette date. Il a déposé un recours devant la Cour constitutionnelle, dénonçant des élections"bâclées et non constitutionnelles" et "l'entêtement qui confine au fétichisme" à maintenir la date du 28. L'ONG de réflexion et d'analyse International Crisis Group (ICG) vient de publier un rapport qui préconise un report "de courte durée" (moins de trois mois), estimant que "s'obstiner à tenir le calendrier actuel reviendrait àprendre le risque d'un processus électoral chaotique et contesté débouchant sur l'élection d'un président dépourvu de la légitimité nécessaire au rétablissement du pays." Un demi-million de déplacés ne sont pas rentrés chez eux. L'administration centrale n'est pas encore de retour dans une grande partie du nord du pays. Le temps pour distribuer des cartes d'électeurs à environ sept millions de personnes est compté.
Le coup d'Etat du 22 mars 2012 a transformé le paysage politique malien. Le pays compte désormais plus de 150 partis politiques. Trois "ténors" tiennent le haut du pavé : le ministre Soumaïla Cissé, Ibrahim Boubacar Keïta (IBK), ancien président de l'assemblée nationale et ancien premier ministre, et un autre ancien chef de gouvernement, Modibo Sidibé. Compte tenu du grand nombre de formations politiques, de nombreuses alliances sont en voie d'élaboration. "IBK" a constitué une plateforme autour de sa formation, le RPM, à laquelle prennent part dix-sept partis dès le premier tour. En cas de second tour, un candidat montant, Moussa Mara, devrait les rallier.
Dimanche 7 juillet, l'équipe d'"IBK", qui espère qu'un second tour ne sera pas nécessaire, lançait la campagne après des mois de préparation, tandis que dans les grandes villes de la partie sud du pays, d'autres candidats lançaient leur campagne. Modibo Sidibé à Kayes. Soumaïla Cissé à Mopti. Dramane Dembélé, de l'Adema (Alliance pour la démocratie au Mali), à Sikasso.
LA SÉCURITÉ, POINT DE PRÉOCCUPATION
Deux agences ont été chargées de la communication d'"IBK" : Havas et Voodoo. On distribue des t-shirts et casquettes, tandis que les conseillers s'inquiètent du taux de remplissage du stade du 26-Mars. Jusqu'à présent, seul Mahmoud Dicko, chef du Haut Conseil islamique, a été en mesure de remplir ses 50 000 places. Quatre cents policiers veillaient à la sécurité de la manifestation.
La sécurité demeure un point de préoccupation, mais cela n'empêche pas la campagne de commencer dans l'enthousiasme. Une sympathisante d'"IBK", rentrée la veille de Côte d'Ivoire, confie que le vol était rempli de Maliens vivant à l'extérieur, et qu'il régnait à l'intérieur de l'avion une ambiance de compétition politique apaisée. "C'est le bon côté de la crise, affirme-t-elle. On a réalisé à quel point la cohésion nationale est précieuse."
La réconciliation est un des thèmes abordés dans le discours d'Ibrahim Boubacar Keïta, après l'inévitable hommage aux victimes du conflit. Réconciliation rendue possible par le rétablissement de l'Etat. L'hymne de campagne, composé par Salif Keita, clôture le meeting, après 45 minutes de discours autour de la sécurité et de la lutte contre la corruption. Puis le stade se vide. La campagne ne fait que commencer.