La petite pluie fine qui s'abattait dimanche sur Bamako perturbait un peu le second tour de l'élection présidentielle. Dans la boue, les files d'électeurs se font moins denses. Le coût de cette météo pourrait bien être une baisse de la participation historique enregistrée le 28 juillet (48 %) lors de ce vote qui doit départager le challenger Soumaïla Cissé du favori Ibrahim Boubacar Keïta, dit IBK, arrivé en tête du premier tour avec 39,7 % des voix. Mais rien qui ne gâtera le parfum de réussite qui entoure déjà ce scrutin, organisé au pas de charge sous la pression de la communauté internationale, la France en tête.
Les imperfections enregistrées lors du premier tour, et plus encore les curiosités qui ont émaillé le dépouillement, n'entament pas plus l'enthousiasme affiché. «L'important est que le Mali ait un président légitime et que ce président soit bien élu», note un diplomate. Une élection franche permettrait au futur chef de l'État d'avoir une marge plus grande pour affronter les nombreux défis qui l'attendent.
L'urgence sera d'abord de régler la question du nord et le problème des groupes armés touaregs concentrés à Kidal. Un accord de cessez-le-feu, signé en juin à Ouagadougou, accorde soixante jours au nouveau gouvernement pour ouvrir des pourparlers. Les questions du désarmement, de l'intégration des rebelles dans l'armée ou encore des mandats d'arrêt pesant sur plusieurs chefs touaregs devraient être les premières pierres d'achoppement.
Les discussions autour du statut de la région promettent d'être plus dures encore. Les rebelles du Mouvement nationale de libération de l'Azawad (MNLA) et du Haut Conseil unifié de l'Azawad (HCUA) rêvent toujours d'une large autonomie, voire d'indépendance. Le gouvernement penche plutôt vers une décentralisation des pouvoirs. «Mais il faut faire attention. Cette décentralisation doit concerner tout le pays», souligne un soutien de Soumaïla Cissé. Pour beaucoup, oublier le Sud ne ferait qu'aggraver la fracture déjà profonde entre les «deux Mali» en donnant l'impression de céder l'unité du pays. «Le Sud est même une priorité. Il faut s'occuper des milliers de gamins au chômage qui n'ont rien, sinon tout sera inutile», souligne Soumeylou Boubeye Maïga, l'un des conseillers de IBK.
Il faut s'occuper des milliers de gamins au chômage qui n'ont rien, sinon tout sera inutile
La défiance des Maliens à l'égard de leurs élites est déjà grande. La réussite des élections souligne de fait le rejet de l'ancien système incarné par l'ex-président Amadou Toumani Touré (ATT), renversé par un coup d'État en mars 2012. Le bon accueil réservé par les Maliens aux putschistes avait montré à quel point la démocratie consensuelle d'ATT, abondamment saluée de par le monde, avait lassé le peuple, qui n'y voyait qu'une façade pour cacher des arrangements entre amis. «Il faudra au futur président réinventer une démocratie avec une opposition, des critiques et des débats», résume un homme politique malien, qui souligne l'importance d'organiser rapidement des élections législatives. Ce second dossier urgent devra être traité en parallèle avec un troisième: la réforme de l'armée.
La sortie de la junte, à commencer par celle de son chef, le capitaine Amadou Haya Sanogo, devra être gérée en douceur. Affaiblie par l'intervention internationale, elle n'a guère plus de relais dans la troupe et ne compte que 20 à 25 officiers. «Le problème est que leurs idées ont infusé et que l'armée a de fortes revendications qu'il faudra satisfaire», explique un ancien haut gradé.
L'Union européenne a débloqué des fonds et 3,25 milliards d'euros d'aide ont été promis au Mali. Mais les bailleurs entendent garder un droit de regard sur l'utilisation de cet argent. Avec les 12.000 Casques bleus attendus, des milliers de fonctionnaires et quelque 1000 soldats français en décembre, la présence étrangère est forte dans le pays et pas toujours discrète. À Bamako, les prix, notamment de l'immobilier, ont commencé à grimper. Cela pourrait réveiller le nationalisme malien mis à mal par la pire crise qu'ait connue le pays. Et compliquer davantage l'entrée en scène du prochain président malien.