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Mariages secrets : Et si le système des castes encourageait le "takou suuf"* ?

Etre «casté», c’est être estampillé d’une différence basée sur des origines sociales. Sous nos tropiques, la noblesse est héréditaire et se définit aussi selon le travail qu’effectuaient nos ancêtres. Elle ne serait pas tributaire du comportement ou de la moralité de l’individu. On peut se targuer d’être supérieur à son prochain en raison d’un sang royal ou maraboutique qui coulerait dans nos veines, même si on est loin d’être un modèle de vertu. Les «castés» sont considérés comme inférieurs parce que leurs ancêtres ont eu à effectuer des travaux manuels ou ont été au service d’une autre catégorie sociale dite supérieure. Mais, quand ces systèmes de caste vont jusqu’à empêcher dans nos sociétés des mariages, certains font simplement recours au «taku suuf» ou mariage clandestin, au moment où la royauté anglaise semble aujourd’hui faire fi d’un tel système de classification sociale.

Par Oulimata Fall


Mariages secrets : Et si le système des castes encourageait le "takou suuf"* ?

Une roturière qui intègre la cour royale de la Couronne d’Angleterre. C’est ce beau scénario, inimaginable depuis trois siècles et demi, qui s’est déroulé sous le regard admiratif du monde entier. Kate Middleton s’est vu conférer le titre d’altesse royale, la duchesse de Cambridge en épousant le prince William, qui est deuxième dans l’ordre de succession au trône. Il devra succéder son père, le prince Charles de Galles. C’est une tradition qui vient ainsi de se briser avec l’entrée dans la famille royale britannique de la belle Kate qui aurait réussi à transcender ses origines grâce à la fortune de ses parents qui ont trimé dur pour devenir des millionnaires respectables. Kate qui est, en effet, issue d’une classe dite inférieure, selon la hiérarchie sociale, n’est pas de classe moyenne au vu de la réussite financière de ses parents. Seulement, ce mariage princier entre une roturière et un prince est, peut-être, susceptible d’amoindrir cet attachement de plusieurs sociétés au maintien du système des classes. La noblesse ne perd pas ses lettres de noblesse, mais elle semble se définir autrement. Elle se mérite autrement que par la noblesse du sang.

Les noirs, des descendants d’esclaves ?

En fait, des réalités qu’on ne pouvait pas imaginer dans un passé récent commencent à s’imposer. C’est le cas, par exemple, de l’accession de Barack Obama à la magistrature suprême des Etats-Unis. Bon nombre de «Noirs» seraient sidérés devant un refus des Américains de voter pour Obama à cause de la couleur de sa peau ou de ses origines africaines. D’autres exemples de ce genre qui foisonnent, semblent montrer qu’il est temps de mettre fin à ces croyances ancestrales qui méprisent les principes d’égalité. Mais sous nos cieux, ils ont été nombreux à battre des mains à la vue de ces feuilletons arguant que le 21ème va révolutionner le monde. Mais toujours est-il que d’aucuns se plaisent encore à s’arc-bouter aux croyances du passé.

Quand une éminente personnalité du pays s’accorde le droit de se glorifier de son sang royal avant d’ajouter qu’il n’est pas «un griot pour chanter les louanges d’un tel», il y a de quoi écarquiller les yeux. Ces précisions sont illustratives de l’état d’esprit de nos compatriotes. C’est un paradoxe étonnant qui se dessine dans notre pays, car ceux qui s’enorgueillissent de leur sang royal ou noble ne supporteraient pas qu’on leur rappelle le passé de leurs ancêtres qui ont tous été des esclaves de l’homme blanc et ils n’auraient pas aimé entretenir des rapports hiérarchiques à cause de ce passé.

Interpellés sur la question, des Sénégalais soulignent que ce sont des choses dépassées. «J'apprécie bien cette diversité, mais je n'approuve pas trop les limites que cela représente une interdiction des mariages entre caste. Dire, par exemple, que tel ne doit pas se marier ou fréquenter telle autre personne sous prétexte qu’ils ne sont pas de la même catégorie sociale est absurde» confie Socé Ndiaye, technicien qui se dit prêt à se marier avec une fille castée. Quid du regard inquisiteur de sa famille ? «Du moment qu'il y a l'amour, je ne vois pas pourquoi je me priverai de ce bonheur. Franchement, ce que les autres pensent de mon choix ne m'intéresse pas trop. On n’a jamais interdit dans notre pays un mariage entre deux personnes de nationalité différente, pourquoi devrait-on s’opposer à un mariage avec une compatriote musulmane de surcroît  ? Qu'on soit noble ou pas, la vérité est qu'on est tous des humains égaux devant Dieu.» En fait, si notre interlocuteur ose franchir le rubicon jusqu’à s’opposer à sa famille pour vivre son amour, ce n’est pas le cas pour bon nombre de Sénégalais. Nombreux sont ceux qui ont été contraints de mettre fin à une belle relation pour se retrouver des années durant dans le célibat ou nager dans un ménage sans amour, à cause du refus des parents de bénir leur union. Leur vie n’a été que souffrance et regret.

Le «taku suuf» : une solution pour certains hommes

Dégoûtés par ce qu’ils considèrent comme une injustice, il en est qui décident contre vents et marées de bâtir un foyer avec la personne de leur choix, qu’importe son rang social. Seulement, d’autres poussent l’audace jusqu’à se marier à l’insu de leurs proches. Ils ont préféré porter leur choix sur un mariage d’amour au lieu de se marier par convenance. D’après des témoignages recueillis, ces couples paient un prix en optant pour le mariage clandestin ou «taku suuf». Ils ne pourront pas faire librement des enfants. En fait, avec ce type d’union, ils n’ont aucunement la chance de perpétuer le nom de leur lignée. Et puis quelle lignée ?

Puisque le plus souvent, les deux familles ont dû mal à accepter des enfants nés de cette union, ils risquent simplement d’être rejetés. Ils tiennent tête à cette société qui choisit comme référentiel la tradition en lieu et place de la religion dont ils se réclament. Et puisque l’Islam autorise le mariage entre «gnégnos» et «guers», ils n’ont pas hésité à aller à l’encontre des principes de leurs parents soutenant qu’ils auront la bénédiction divine. Des exemples sont cités, mais impossible jusque là de rencontrer des adeptes de ce type de mariage qui ont préféré le mariage à la fornication.

Une expérience qui ne semble pas prête à faire tâche d’huile puisque la plupart des personnes rencontrées préfèrent se soumettre à la volonté de leurs parents. Ils accordent une importance particulière aux pesanteurs familiales. Car comme le confie le directeur d’une Ong privée, Daouda G. : «J’ai beau me revendiquer intellectuel, mais je pense que ces croyances qui ont franchi des siècles subsisteront. La plupart de ceux qui ont cherché à se rebeller contre une règle sociale «absurde» ont fini par grincer des dents. Rien de plus beau que l’amour mais la famille est sacrée.» Pour Demba Kane, très attaché à la tradition, il est temps de jeter «ces systèmes aux oubliettes, car on est au 21e siècle. Ils n’ont plus leur raison d’être. Les parents donnent leur bénédiction quand il s’agit d’un mariage avec un Blanc qui n’est pas de la même religion avec leur enfant, mais ils disent non quand c’est un casté. C’est insensé  et manquer de foi en Dieu que de croire qu’en se mariant avec un casté, on court à sa perte ou on souille son sang.»

Un discours révolutionnaire est souvent servi quand on ne pousse pas le bouchon trop loin chez certaines personnes interviewées. Car, entre la parole et la conviction, se creuse souvent un grand fossé. Une femme n’a pas hésité à nous faire comprendre que devant le micro, bon nombre de nos compatriotes s’érigeront verbalement contre un tel système inégalitaire, mais pour rien au monde, ils ne violeront ces règles. Ils sont sensibles à la gloire et aux louanges. Ils rappelleront toujours, avec fierté, leur ascendance sur les autres. «Je suis descendant d’un roi», «ton grand-père est un captif», «tu dois te limiter à chanter mes louanges, je suis supérieur  à toi», «tu n’es qu’un vulgaire forgeron, tu nous es inférieur»... autant de phrases lancées tristement à la figure de ceux-là qui auront cherché à prendre leur revanche sur le destin s’appuyant sur des valeurs solides.

Les esprits étroits ne manquent pas de lancer des allusions perfides pour les déstabiliser. Une arme fatale qui a eu à démoraliser plus d’un, et dire que leurs parents se sont évertués à leur inculquer des valeurs cardinales. Ils sont des hommes de valeur et de dignité très attachés à la loyauté, des hommes d’une élégance d’esprit qui doivent injustement rester au bas de l’échelle d’après des mentalités qui vivent encore dans le passé et ne se soucient pas des frustrations, des souffrances qu’elles sont susceptibles de créer chez une catégorie sociale. Mais, il est une réalité à ne pas occulter : les personnes dites de basse classe sociale sont aussi fières que les personnes qui se réclament nobles.

*"Taku suuf" : mariage discret

Source : peoplesenegal.com



Vendredi 11 Mai 2012 - 17:03





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