"Quand je disais que cette ville mange ses enfants, j'avais raison. Et ça s'est passé..." Au téléphone, ce vendredi après-midi, José Anigo étouffe ses mots: "On m'a pris mon fils..." Jeudi, le directeur sportif de l'OM a appris la nouvelle à l'heure de la sortie des classes. Son ex femme, la mère d'Adrien, l'a appelé. Elle s'inquiétait d'apprendre que son fils n'était pas allé chercher ses enfants à l'école comme il le faisait d'habitude. "Ca ne lui ressemblait pas, explique José Anigo. Au même moment, quand j'ai entendu le règlement de comptes à la radio, j'ai eu peur..."
Jeudi, vers 17h30, la nouvelle a frappé de stupeur le tout-Marseille. Deux heures plus tôt, Adrien Anigo, 30 ans, a été abattu par deux individus casqués sur un scooter de grosse cylindrée alors qu'il circulait dans une twingo noire sur l'avenue Jean-Paul Sartre, l'un des axes qui relient le centre de Marseille aux quartiers nord. Arrivés à hauteur du conducteur, les deux tueurs ont ouvert le feu simultanément et l'ont mitraillé d'une dizaine de balles de calibre 9 et 11.43. "Un impact dans la tête, un autre dans la poitrine, un dernier dans la carotide, grince une source proche de l'enquête. Ceux qui ont fait ça ne sont pas des comiques." Une exécution de professionnels. Le 15e règlement de comptes mortel de l'année dans les Bouches-du-Rhône, qui touche cette fois une figure marseillaise, l'inoxydable directeur sportif du club phocéen, l'emblème de la ville.
A l'OM: "On est tous sous le choc"
Au siège de l'OM, à la Commanderie, dans les quartiers est de Marseille, le communiqué est tombé à 19h48 en forme de faire-part : "Après le drame qui vient de frapper José Anigo, l'Olympique de Marseille tient à manifester son soutien et toute sa sympathie à José et à sa famille." Vincent Labrune, le président de l'OM, répond à L'Express: "Je suis bouleversé à titre personnel par le terrible drame qui touche José et sa famille. Je n'ai évidemment aucun autre commentaire à faire sur cette terrible affaire privée." Une cadre du club renchérit : "On est tous sous le choc."
Pour José Anigo, ce devait être une journée ordinaire. Pour commencer, une rencontre amicale contre les voisins du FC Istres. Match nul. "Staffs et joueurs ont mangé ensemble dans une ambiance détendue, témoigne l'un d'eux. José était de très bonne humeur." Ce dernier a quitté le club en début d'après-midi. Peu avant le drame.
Adrien Anigo a longtemps fait figure de fils à problèmes. "La rue a aspiré mon fils", déplorait en 2011, dans le Journal du dimanche, José Anigo, à la tête d'une famille recomposée de six enfants. De mauvaises fréquentations en faits de délinquance, Adrien était tombé avec trois copains du "gang des bijouteries" en mars 2007 pour une série de braquages et aurait dû comparaître avec eux devant la cour d'assises des Bouches-du-Rhône au printemps 2014. Sauf qu'entre-temps, l'un d'eux s'était déjà fait tuer en octobre 2011 par la police espagnole, après un braquage raté dans une bijouterie d'Alicante.
José Anigo: "C'était mon fils et je l'aimais"
Le mode opératoire du "gang", presque toujours le même, faisait rarement dans la dentelle: il sévissait dans les centres commerciaux et cassait les vitrines à coups de masse, à Marseille, Vitrolles, Aix-en-Provence ou Pertuis. Leur premier fait d'armes : le braquage d'un bureau de poste aux Milles, entre Aix-en-Provence et Marseille. Le 5 septembre 2006, vers 7h45, un employé stationne sur le parking du personnel quand il est aussitôt bousculé et menacé par deux hommes armés, cagoulés et gantés, qui pénètrent avec lui dans le bureau. Et se font conduire à la salle des coffres pour en extirper 19 550 euros. Un témoin relève la plaque de la voiture des voyous qui prennent la fuite: il s'agit d'une Ford Fiesta louée... à l'OM, pour environ un mois. Le conducteur est identifié: Adrien Anigo. Son casier judiciaire fait déjà état, entre 2001 et 2005, de neuf condamnations: conduite sans permis, vols... L'enquête de personnalité présente un jeune homme en rupture de ban scolaire, "tenté par l'argent facile. Son manque de force de caractère va l'entraîner sur des voies délictuelles".
Il essayait de le remettre dans le droit chemin
Les jeunes braqueurs sont libérés en février 2010 à la faveur d'un vice de procédure. Anigo fils semble vouloir se ranger. "C'est ce qu'espérait José, raconte un proche de la famille. Il essayait de le remettre dans le droit chemin. Ça le minait, cette histoire." Adrien ouvre donc un magasin de sport à deux pas de la préfecture de police. Puis il reprend un bar, le Castell York, place Castellane, au bout de l'avenue du Prado. "Seul, c'était un amour, ce gamin, raconte un commerçant qui le connaissait. Mais il se laissait entraîner..." Un copain en garde un souvenir plus mitigé: "Je l'ai vu il y a un peu moins d'un an se comporter comme un chefaillon, disant qu'il était armé et que personne n'avait intérêt à venir le faire chier. C'était comme inéluctable..." Son assassinat est-il en lien avec les bijouteries ou une autre affaire? "On peut dire ce qu'on veut de mon fils mais c'était mon fils et je l'aimais, souffle José Anigo. Tout le reste n'a pas d'importance."
La grande gueule de l'OM, pur minot des quartiers nord, qui n'a jamais renié certaines amitiés dans la voyoucratie, s'était fait plus discret, ces derniers temps, ne donnant quasiment plus son numéro de téléphone, après le dévoilement en début d'année d'une enquête judiciaire sur l'immixtion supposée du grand banditisme au sein du club. Il a été rattrapé par la violence marseillaise.