“Monsieur le Premier Ministre, c’est cela l’image de votre administration !”, Mody Niang


le forum sur l’Administration a vécu, sans avoir apparemment atteint les objectifs déclarés. Si l’on en juge en tout cas par les larges commentaires que la presse en a faits le lundi 11 avril et les réactions de certaines autorités, il n’aurait pas été un grand succès. La première session a démarré à 11 heures, avec une heure 30 minutes de retard. En outre, et c’est plus grave encore, le film qui devait servir de prétexte aux travaux n’a pu être projeté qu’après le départ du Président de la République. 

Pour des raisons techniques, semble-t-il. Tous ces manquements ont provoqué l’ire du Premier Ministre qui s’est exprimé en ces termes sans équivoque : « On devait montrer une autre image de l’administration. Devant le Chef de l’Etat, en tant que chef de l’administration, j’ai éprouvé une honte, parce que le film ne pouvait pas démarrer à temps. » Très énervé, il poursuit : « La première session démarre avec une heure 30 minutes de retard. C’est inadmissible. Et on ne va pas laisser. Il faut qu’on apprenne à sanctionner positivement et négativement. C’est un cri de cœur. » « Il faut qu’on apprenne à sanctionner …! » 

Que peut-on attendre d’une administration dont les chefs n’ont même pas encore commencé à apprendre à sanctionner ? Notre administration pouvait-elle s’improviser une image à Diamniadio ? Non, elle ne pouvait montrer que son image, sa vraie image, avec ses insuffisances, ses failles, ses maux, ses tares. On a l’impression, en lisant le discours du Président de la République au Forum, qu’il n’est pas conscient des insuffisances de notre administration. Après les préliminaires d’usage, il rappelle « la riche histoire de notre Administration façonnée depuis la période coloniale et qui nous vaut un Etat stable et solide porté par une administration de qualité ». 

Nous devrions donc être fiers de notre administration, puisqu’elle est de qualité. Pourtant, le Président de la République ne cesse de se plaindre de ses lenteurs, de ses lourdeurs, de son inefficacité. Il ne la juge même pas capable de gérer un programme de 113 milliards de francs CFA qu’il préfère confier au PNUD. Bref, nous pouvons lui concéder que, bien que note administration soit de qualité, nous devons aller plus loin encore. D’où l’initiative de la rencontre de Diamniadio, qui « porte la marque de (son) ambition pour une administration rénovée, une administration (…) au service des usagers par sa proximité, sa simplicité, sa disponibilité, sa célérité, la lisibilité et l’efficacité de son action ». 

C’est dans cette optique qu’ « (il a) engagé le Gouvernement à accorder une priorité absolue à la modernisation générale de l’Administration » et à lui proposer un Plan d’actions prioritaires de nature à « moderniser notre appareil administratif et (à) améliorer la qualité du service public, en vue de consolider notre dynamique d’émergence ». 

Le Forum de Diamniadio a vécu, le Président de la République recevra sûrement son Plan d’actions prioritaires. Pour autant, notre administration sera-t-elle suffisamment moderne à moyen terme pour porter l’émergence du pays ? On peut en douter sincèrement si on considère le sort réservé en général aux rencontres comme celle de Diamniadio. Il faudrait plus que des Plan d’actions, plus que des Codes de déontologie pour faire de notre administration une administration de développement. Ses tares sont pour l’essentiel le fait de nos gouvernants. C’est d’eux que devraient venir donc les premiers coups de pioche pour la modernisation de notre administration. Celle-ci va de haut en bas, de la Présidence de la République à l’échelon le plus bas. 

Rappelons que c’est le Président de la République qui détermine la politique de la Nation, nomme le Gouvernement et à tous les emplois civils comme militaires. C’est le chef incontesté, la locomotive de l’administration. C’est donc de chez lui que devrait partir le train de la modernisation de toute notre administration. Son entourage immédiat devrait respirer l’excellence, avec des collaborateurs (Secrétaire général de la Présidence, Directeur de cabinet, conseillers techniques ou spéciaux, etc.) à la hauteur de leurs fonctions stratégiques. Au départ de la Présidence, le premier arrêt du train de la modernisation de l’administration, c’est sûrement le Gouvernement. L’entourage immédiat du Premier Ministre devrait, lui aussi, exhaler la même odeur d’excellence que la Présidence de la République. En particulier, le Secrétaire général du Gouvernement devrait être un haut fonctionnaire ayant blanchi sous le harnais et pour qui l’administration n’a pas de secret. La coordination de l’action gouvernementale est délicate et exige une compétence et une expérience de la chose publique avérées. Cette coordination peut être rendue plus difficile encore par les gouvernements pléthoriques et folkloriques qui encombrent la salle du Conseil des Ministres. Trente huit à quarante ministres, c’est trop, c’est encombrant pour rien. 

C’est surtout inefficace avec des ministres qui sont loin d’avoir le profil de l’emploi et nommés, pour l’essentiel, en fonction de leurs appartenances politique, ethnique, confrérique, familiale, etc. C’est le lieu de rappeler l’engagement ferme du candidat Macky Sall à nommer, une fois élu, un gouvernement de 25 membres, engagement fortement réitéré dans l’interview qu’il a accordée à « Jeune Afrique » n° 2685 du 24 au 30 juin 2012, page 28. L’interview avait pour titre : « Je vais tout changer ». 

Répondant ainsi à une question de Marwane Ben Yahmed, il déclarait : « Les Sénégalais ont réclamé une gouvernance plus vertueuse, plus éthique. Nous avons l’obligation de (…) réduire le train de vie et les dépenses naguère somptuaires de l’Etat. J’ai, par exemple, pris la décision de vendre le second avion de la présidence. J’ai aussi trouvé un gouvernement de 38 ministres en arrivant, et je l’ai ramené à 25 membres. » 

Et notre tout nouveau Président d’ajouter, sans doute pour s’en enorgueillir : « C’est désormais l’un des plus réduits d’Afrique, et je vous assure qu’il aurait été plus simple pour moi de distribuer plus largement les maroquins ». C’est bien le Président Macky Sall qui s’exprimait ainsi. Comme pratiquement tous les présidents africains, il n’a aucun respect pour ses engagements, pour le peuple qui l’a élu. Il en est désormais à un gouvernement de 39 membres, sans compter les incalculables ministres conseillers spéciaux. Il n’avait pas mis donc beaucoup de temps pour « distribuer plus largement les maroquins » et ça continue. 

Pour revenir à notre sujet, on rénovera difficilement notre administration avec le gouvernement encombrant, politicien et folklorique que nous avons, avec les hommes et les femmes qui le composent. Il faut dégraisser sans délais le mammouth – pour paraphraser l’autre – ; il faut nettoyer, alléger le Gouvernement. Avec le Président Macky Sall, un gouvernement de vingt membres n’est sûrement pas envisageable. Il pourrait revenir quand même à son engagement de vingt-cinq (25) ministres, de ministres ayant le profil de l’emploi et à la tête de ministères cohérents et stables. Nous ne l’avions pas élu pour distribuer des maroquins 

. Ce gouvernement resserré devrait être complété par une refonte totale des directions nationales. Nos ministères comportent trop de directions dont certaines sont incohérentes ou des coquilles vides. Il s’y ajoute que les directeurs et directeurs généraux sont pratiquement tous membres de la Coalition Bennoo Bokk Yaakaar (BBY) et, pour l’essentiel, du Parti gouvernemental et de la famille présidentielle. Des sociétés nationales stratégiques ont ainsi à leur tête des politiciens purs et durs, qui passent une bonne partie de leur temps sur le terrain, où ils distribuent des millions de francs dont on se demande bien d’où ils les tirent. Les rapports de l’Inspection générale d’Etat (IGE) comme de la Cour des Comptes mettent en évidence des actes de mal gouvernance caractérisés dans lesdites sociétés. 

Quand on les lit, on a mal, très mal. On est encore plus indigné de la gouvernance des agences dont la plupart sont des maroquins que le Président de la République distribue avec pour seule préoccupation de massifier son parti. Revenons à l’interview de « Jeune Afrique » du 24 au 30 juin 2012 et arrêtons-nous sur ces propos du Président de la République : « Enfin, (…) j’ai supprimé plus de 60 agences et directions nationales dont l’utilité n’est pas avérée. » C’est vrai ; il en avait supprimé exactement 59, mais ne nous avait pas dit combien il en restait et combien d’autres il en a créées après. 

Ce qui est sûr, c’est qu’il en reste un bon nombre dont l’utilité est loin d’être avérée. Il y a quelques jours seulement, le FMI le lui rappelait. Une bonne administration, une administration de développement est incompatible avec l’existence de telles structures. Il convient de signaler aussi le rôle que certains postes de responsabilité jouent dans une bonne administration, à condition, bien entendu, qu’ils soient confiés à des hommes et à des femmes qui ont le profil de l’emploi. Il s’agit notamment des directions de l’Administration générale et de l’Equipement (DAGE), des services de l’Administration générale et de l’Equipement (SAGE) qui se raréfient de plus en plus (les DAGE étant privilégiées quelle que soit la taille du ministère), des inspections des Affaires administratives et financières (IAAF), etc. 

Ce sont des postes techniques où ne devraient être nommés, de préférence, que des énarques (administrateurs civils, inspecteurs du trésor, etc.) et des sortants de la Section B de l’Ecole nationale d’Administration (ENA). Ce qui est loin, très loin d’être le cas aujourd’hui. Des gens parfois venus de nulle part y sont nommés, au grand dam de l’efficacité de notre administration. Les conseils d’administration et conseil de surveillance, de plus en plus nombreux, connaissent les mêmes problèmes. Un cas particulier qui crève les yeux illustre toutes les dérives à ce niveau-là : le président du Conseil d’Administration de la RTS. 

Même le poste stratégique et prestigieux de secrétaire général de ministère n’est pas épargné par la furie politicienne des gouvernants qui ont dirigé le pays depuis avril 2000 et ce, malgré les recommandations plusieurs fois réitérées des corps de contrôle, de l’IGE en particulier. Le poste continue d’être galvaudé tant par le nombre que par le maigre profil de certains de nos compatriotes qui y sont bombardés. L’auteur du texte que vous venez de lire est loin d’être un spécialiste de l’administration. Il réagit simplement, en sa qualité de citoyen de bonne volonté, à ce qui s’est passé au Centre international de Conférences Abdou Diouf (CICAD) de Diamniadio, et qui a fait sortir de ses gonds le Premier Ministre sénégalais. 

L’image à l’origine de son irritation est bien celle de notre administration. Elle la gardera tant qu’elle ne sera pas libérée du joug de la « massification du parti » et du souci permanent de la promotion d’une famille. Elle deviendra difficilement le « moteur de l’émergence », tant qu’elle ne sera pas mise au service exclusif du peuple sénégalais, et dans toute sa diversité, plutôt qu’à celui d’une coalition, d’un parti, d’une famille. 

Dakar, le 12 avril 2016 MODY NIANG


Mercredi 13 Avril 2016 07:48

Dans la même rubrique :