Toutes les écoles publiques de Dakar sont restées fermées le jeudi 19 Avril, sur instruction de l’autorité. Rien que pour le vote d’une loi à l’Assemblée Nationale. Situation cocasse dans une « démocratie » qui se dit majeure. Un signe de plus que quelque chose ne va plus... La plupart des commerces en centre-ville avaient baissé leurs rideaux. Le train de vie normal des citoyens a été largement perturbé par une présence outrancière de forces de l’ordre, armés jusqu’aux dents, pour empêcher des citoyens, opposés à l’adoption de la loi sur le parrainage de l’exprimer, fut-ce au prix d’une marche à travers les rues de la capitale et d’un sit-in devant l’Assemblée Nationale.
À moins que certains mots ne commencent, véritablement, à résonner creux , il est temps de nous entendre sur les maux de notre pays.
Sous d’autres cieux, les manifestants vont jusqu’aux grilles de la Maison Blanche dire leur fait aux gouvernants, dans une ambiance bon enfant. Pendant que l’on réprimait à Dakar, entre 120.000 et 200.000 manifestants battaient le macadam à Paris pour exercer leur droit à dire leur désaccord lorsque le besoin s’en fait sentir. Au même moment, au Sénégal et au Togo, mais aussi à Madagascar, les populations faisaient face à des forces du...désordre (?) qui gazaient sans discernement les passants et les manifestants.
Pourquoi les africains ne sont-ils pas respectés par ceux qui les dirigent?
Pourquoi, dans notre pays, des manifestants conduits par des anciens Premiers ministres, et parmi lesquels des anciens Ministres et des anciens parlementaires, ne bénéficieraient-ils pas d’un encadrement adéquat par des services d’ordre, payés par tous les contribuables pour assurer, à tous, un droit que leur reconnaît la Constitution?
En vérité, nos dirigeants continuent à creuser, obstinément, le fossé entre eux et leurs mandants. En sont-ils seulement conscients?
À leur tête, Monsieur le Président de la République , vous ne cessez d’engager, avec les forces vives de la Nation, épreuve de force sur épreuve de force depuis votre accession à la magistrature suprême. De procès en condamnations vous donnez, finalement, le sentiment de règlements de comptes plus politiciens que véridiques. Tant vos amis, alliés et ralliés, pourtant compromis dans des affaires douteuses, sont peu ou pas du tout inquiétés.
Dommage!
Car tout cela sort des meilleures traditions de dialogue et de concertation qui ont fondé la nation sénégalaise.
Une fois Votre loi votée, car elle l’a été envers et contre tout, il restera à gérer la rupture de confiance, largement entamée, entre Vous et une grande frange du Peuple, au point de se transformer en une méfiance suspicieuse à chaque fois que vous proposez des réformes institutionnelles. De la méfiance à la défiance, le pas est vite franchi car les citoyens ne sont pas du bétail qui se laisse mener à l’abattoir sans se révolter. Vous en savez quelque chose pourtant....
C’est donc dans ces moments troublés, qui préoccupent tout citoyen responsable dans notre pays, que je m'adresse à Vous.
Je ne m'adresse pas au chef de l'APR. Juste pour éviter aux militants de cette organisation de se sentir concernés à ce titre. Je m’adresse au Chef de l’Etat.
Monsieur le Président de la République,
Vous avez accédé au pouvoir en 2012. Élu pour un mandat de 7 ans, vous vous étiez engagé, personnellement, et en plusieurs occasions fixées dans les archives sonores et visuelles, à réduire votre premier mandat à 5 ans. Vous seul saviez alors les motivations profondes d'un tel engagement... personnel! Pour en sortir, vous avez conduit le pays dans un processus référendaire coûteux et dont l'intérêt, la pertinence et les conséquences, en termes de création d'institutions nouvelles et budgetivores, m’échappent encore. Et pour cela j’ai voté NON. Je ne suis pas le seul. Ce référendum à été, de mon point de vue, le point de départ de cette rupture de confiance qui s'accentue, de jour en jour, entre Vous et vos homologues de la classe politique d’une part, et entre Vous et bien des citoyens sans partis d’autre part! Mais surtout, cela a été l’amorce d’une faille qui se creuse, de plus en plus, entre vous, si jeune, et la jeunesse sénégalaise...
Cette rupture de confiance a pour conséquence de rendre désormais suspecte toute initiative que vous prendrez, sans concertation préalable avec les acteurs politiques, notamment pour ce qui concerne les modalités d'accès au pouvoir, pour en venir à l'actualité.
Les médias classiques, mais surtout les réseaux sociaux et les nouveaux canaux de partage de l'information, bruissent d'une large désapprobation du projet de loi voté à l' Assemblée Nationale. Comme vous le savez, ce sont des êtres de chair et de sang, qui animent les réseaux sociaux. Ils reflètent les sensibilités qui traversent la société sénégalaise. Pour la plupart, les citoyens actifs sur les réseaux sociaux sont également des électeurs. Ils sont le reflet des opinions majoritaires dans leur environnement social ou professionnel. C’est une nouvelle donne qui s’instaure dans les relations humaines à la faveur des mutations accélérées de nouvelles technologies de diffusion et de partage des informations. Il va falloir en tenir compte.
Tout un tollé s'est, en effet, emparé de ces nouveaux vecteurs de diffusion des opinions, pour une question de principe simple: un candidat, fut-il le Président en fonction, peut-il changer les règles du jeu collectif sans concertation préalable, approfondie et sereine, avec les segments significatifs de la nation?
Une réforme d'une telle ampleur ne méritait t- elle pas de prendre tout le temps nécessaire pour rallier le plus grand nombre d'adhésions? Au lieu d'un passage en force par la grâce d'une majorité mécanique, docile et inconditionnelle surprotégée par un renfort de forces de sécurité? L’Histoire retiendra que seule votre majorité aura entériné la loi sur le parrainage, là où un large consensus eût-été souhaitable.
À la longue, la rupture de confiance évoquée plus haut, va créer les conditions d'une défiance de plus en plus prononcée. On peut être tenté de lui opposer la force. Cependant, l’Histoire nous renseigne sur les limites de la force. Elle rencontre, un jour ou l’autre, une force supérieure.
Combien d'anciens chefs d'États vivants n'exercent plus le pouvoir et n'en ressentent plus l'ivresse? Combien de souverains déchus jalonnent l'Histoire? Quoi qu'en diront vos thuriféraires,vos laudateurs et vos «inconditionnels» c'est cela votre horizon. Méditez le destin de votre prédécesseur et regardez ce que sont devenus ses inconditionnels ou ce qu'il en reste...
Les temps ont définitivement changé. Les conditions d'exercice du pouvoir vont changer encore plus rapidement grâce à la vitesse des progrès technologiques qui gomment les frontières spatiales et temporelles. Se parler est devenu aisé. «En un clic» comme vous le disiez en 2011, on peut diffuser un message qui touche des dizaines de milliers de personnes, voire des millions si l'on se dote des outils qu'il faut. Sachez également que tous les personnels de sécurité sont assidus sur les réseaux sociaux. Même la grande muette n’est pas pour autant sourde à tout ce qui s’y dit. Les voix du Peuple traversent les murs des casernes. Sous les uniformes on pense, on entend et on ressent!
Se mettre à l'écoute du Peuple, tâter son pouls et décoder son message est devenu encore plus impératif pour qui dirige les destinées d'une nation.
Entendez la désapprobation populaire, Monsieur le Président de la République. Il serait de Votre Honneur de l'écouter pendant qu'il en est encore temps. Vous avez encore le choix de ne pas promulguer une loi si impopulaire.
Pour résoudre l’équation de la multiplicité des candidatures à la Présidence de la République et diminuer le nombre de bulletins à imprimer plusieurs choix restent encore. Entre autres:
- Instaurer une caution de 65 à 100 millions non remboursables pour tout candidat n’atteignant pas 1% des voix .
- Le bulletin unique
Sinon, de la méfiance à la défiance, les moments qui nous séparent des élections présidentielles vont être difficiles, voire périlleux.
Dieu veille sur le Sénégal !
Amadou Tidiane WONE