Moubarak libre, l'Egypte tourne la page du printemps


«Désormais, il est libre», déclare fièrement un vieil homme devant l’élégant hôpital militaire de Maadi, au Caire, où se sont rassemblés en silence quelques partisans. «Il a enfin obtenu justice et ce qui s’est passé jeudi met un terme à cette soi-disant révolution de 2011, qui coûte encore très cher à notre pays», ajoute-t-il avant de lever la tête vers la fenêtre de la chambre d’Hosni Moubarak. A 88 ans, l’ancien président égyptien vient d’être acquitté des dernières charges qui pesaient contre lui. En 2012, il avait pourtant été condamné à la prison à vie. Ses avocats ont fait appel. Le procès aura duré quatre ans, avec de nombreux rebondissements.
L’ancien président égyptien était accusé d’avoir donné l’ordre à la police de tirer sur les manifestants au cours du soulèvement populaire de 2011. A l’époque, le bilan est très lourd : plus de 850 morts et de très nombreux blessés. Ses coaccusés, son ancien ministre de l’Intérieur et plusieurs responsables des services de sécurité, ont également été acquittés.
Vue sur le Nil
Le 25 janvier 2011, dans la droite ligne de la révolution tunisienne, des centaines de milliers d’opposants au régime du président Moubarak étaient descendus dans les rues du Caire pour dénoncer les violences policières et la corruption. Des manifestations qui ont rapidement essaimé dans les grandes villes, débouchant sur le printemps égyptien. Le 11 février, à la suite d’affrontements quasi quotidiens avec les forces de sécurité et après de nombreuses tentatives pour enrayer leur soulèvement, les manifestants célébraient leur victoire. Hosni Moubarak venait d’annoncer son départ. Arrêté, l’ancien raïs égyptien sera rapidement assigné à résidence dans une chambre d’hôpital avec vue sur le Nil, pour des questions de santé.
Depuis, il semble couler des jours tranquilles. Il reçoit sa famille, compose ses menus et chaque samedi matin, de nombreux proches sont autorisés à lui rendre visite. Il jouit également d’une assistance médicale constante. Hosni Moubarak, qui a toujours plaidé non coupable et défendu le bilan de ses trente années à la tête de l’Etat, aura finalement été tout juste condamné à trois ans d’enfermement pour des histoires de biens mal acquis. Mais la justice a estimé que ses années de placement en résidence surveillée couvraient sa peine. A la sortie du palais de justice, jeudi en fin d’après-midi, Yousri Abdelraziq, l’un de ses avocats, affirmait qu’il pourrait quitter l’hôpital militaire de Maadi dans un mois ou deux pour rejoindre sa villa familiale sur les bords de la mer Rouge, à Charm-el-Cheikh, station balnéaire située à plus de 500 km au sud-est du Caire. Le temps de faire le nécessaire pour qu’une assistance médicale y soit déployée.
«Tant de morts pour rien»
Plus de six ans après le soulèvement populaire qui a entraîné sa chute, les Egyptiens se sentent globalement peu concernés par l’acquittement de leur ancien président. Ils ont tourné la page, comme celle de son successeur, Mohamed Morsi. Le premier président élu démocratiquement en Egypte, renversé à son tour mi-2013 par l’armée à la suite de nouvelles manifestations monstres, est actuellement en prison. Englués dans une très grave crise économique, les Egyptiens se demandent surtout comment tenir face à une inflation à deux chiffres et un chômage endémique.
Les voix dissonantes ont, quant à elles, progressivement été muselées : la presse comme les organisations des droits de l’homme sont sous étroite surveillance. Des dizaines de journalistes ont été jetés en prison, la plupart des organisations humanitaires ont été fermées ou sont empêchées de travailler. Le printemps égyptien s’est progressivement dissous dans le nouveau régime, celui du président Abdel Fattah al-Sissi, qui gouverne le pays depuis 2014 d’une main de fer. «C’est encore pire que sous Moubarak», confie Mohamed Lotfi, activiste des droits de l’homme qui travaille sur les disparitions forcées.
«Tant de morts pour rien», confie, de son côté, un autre militant avec tristesse. Le jeune homme, qui ne souhaite pas révéler son identité par peur des représailles, ajoute : «Ce qui vient de se passer est révélateur du climat politique dans lequel se trouve l’Egypte : personne ou presque dans le camp Moubarak n’a été inquiété par la justice après toutes ces années de dictature. Et actuellement, plus de 40 000 prisonniers politiques, dont de nombreux amis, croupissent en prison pour avoir osé s’exprimer et dire leur opposition à la tyrannie. Il aurait fallu mettre une place un vrai procès politique, celui des années de dictature, mais nous n’étions pas prêts. Le pays n’était pas prêt.»


Dimanche 5 Mars 2017 09:14

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