Moustapha Tall, le magnat du riz à l’assaut de la presse

Un visage rond que barrent en permanence des lunettes dorées. Derrière son physique imposant et sa noirceur d’ébène contrastant avec son caftan d’une blancheur maculée se cache une âme généreuse. Magnat du riz, Moustapha Tall, la cinquantaine, traîne une solide réputation de générosité et de gagneur. Un véritable pompier social. A la Sodida où se trouvent ses entrepôts il n’hésitait pas à livrer gratuitement des tonnes de riz à ses compatriotes démunis. Le riz, il en connaît toutes les saveurs. De même que le sucre. Ce qui lui a d’ailleurs valu un séjour carcéral dont il se remémore encore. A la tête du Holding TALL, il vient de lancer un journal à vocation économique « LE DEFI ECONOMIQUE ». Sans détours, il a accepté d’ouvrir le bal de notre rubrique mensuelle « l’Invité de l’Economie ». Entretien.


« Nous avons  un double défi à travers notre journal, assainir un secteur de la presse désorganisée par une libéralisation sauvage et en révolutionner l’organisation en apportant notre contribution consistant à pousser autorités étatiques et acteurs à repenser l’organisation de ce secteur vital pour la bonne marche du pays. Il s’agira poursuit Moustapha Tall dans ses nouveaux habits de patron de presse de tout mettre en œuvre afin que les acteurs de la presse puissent se prendre eux-mêmes en charge. Il n’y a pas de raison par exemple de publier autant de quotidiens baignant dans la précarité et publiant pratiquement les mêmes informations car s’abreuvant à la même source et ne cherchant guère à se spécialiser.

Autant les regrouper pour que, à l’instar de grands pays comme le Japon ou même les USA, deux ou trois quotidiens et des revues spécialisées donnent les informations de qualité. Ainsi, ce faisant poursuit il, c’est le professionnalisme qui va gagner en lieu et place de ces journaux devenus des moyens de chantage contre l’Etat et certaines personnalités. Une attitude qui discrédite ce noble métier. C’est ce challenge que nous entendons relever au plan organisationnel, relever cumulativement avec Le Défi Economique qui va résider dans l’occupation d’un espace économique vierge parce qu’ inoccupé  de manière permanente par un magazine de qualité et sous le contrôle de décideurs. Ces derniers, par ce biais, ont la bonne information économique, s’expliquent sur les enjeux les concernant et s’informent en même temps. Notre ambition et notre credo, n’être à la solde de personne sinon de la Nation sénégalaise. Nous les réaliserons à travers ce magazine.

Dans ce secteur mal en point nous venons pour changer les choses, apporter notre contribution afin que ça bouge et profite aux journalistes éditeurs et à l’Etat qui aura en face de lui des organes de presse responsables honorant leurs obligations fiscales et donnant une information de qualité. En effet et c’est connu, une mauvaise information distillée au sein des populations peut avoir des répercussions fâcheuses. Diffuser une information erronée est souvent lourde de conséquences à court comme à long terme surtout pour de jeunes nations comme la nôtre. Il incombe à la presse de mener un travail de rééducation avec aux avant-postes des journalistes responsables et bien formés. Ceci nous évitera les situations où des organes de presse déposent les bilans avec, comme conséquences, des pertes d’emplois.

S’expliquant sur la nouvelle embellie enregistrée ces dernières années en termes de taux de croissance, ce «self made man » constate que les pays d’Europe qui subissent les effets de la crise internationale sont obligés de se tourner vers nos pays en y délocalisant souvent leurs productions pour bénéficier des effets de la main d’œuvre bon marché et autres effets comparatifs. Les pays africains ayant des taux de croissance les plus en vue attirent d’avantage du coup les investisseurs souligne M. Tall. Surtout quand ces taux se combinent avec une stabilité économique comme c’est le cas au Sénégal, pays appartenant à l’Uemoa ce qui l’exonère de certaines taxes.
 
ARACHIDE : ORGANISER LA CAMPAGNE AU PROFIT DE NOS INDUSTRIELS
 
Le dossier de l’arachide qui a enregistré cette année un record de production imputable à la fois à la qualité des semences et une bonne pluviométrie a été largement débattue au cours de cet entretien. « Il faut éviter que cette bonne production ne passe à la barbe de nos industriels mal aidés et soit enlevée par des étrangers » tranche M. Tall visiblement énervé par l’évocation de cette possibilité. « Un pays industrialisé comme le nôtre ne doit pas accepter cela. Nous avons dans l’huilerie des industriels qui pourront acheter une bonne partie de ces graines. Les opérateurs privés stockeurs « OPS » de leurs côtés pourront en faire de même. Il y a aussi les semences qu’on doit sélectionner et sécuriser. Mais, constate-t-il, amer, c’est mal parti. Il faut organiser cette campagne au profit de nos industriels.
 
FAILLITE DE L’ONCAD ; Abdou DIOUF EST TOMBE DANS LE PIEGE TENDU PAR WADE
 
« Depuis l’indépendance des structures comme l’ONCAD, la SONACOS plus tard soutenaient la production et veillaient à la commercialisation. La production était destinée aux huiliers sénégalais. Laisser notre production aux mains des étrangers c’est dangereux pour notre économie » tranche t il. Il faut organiser cette campagne au profit de nos industriels car laisser sortir nos graines sans contrôle peut s’avérer fâcheuse pour notre pays. Quand on souligne la faillite de L’ONCAD entre les mains d’une bourgeoisie nationale, le magnat du riz sort littéralement de ses gonds. « La faillite de L’ONCAD a été imaginaire. Les politiques l’ont qualifiée de gouffre à milliards. C’était faux. Wade  a réussi à la démanteler parce qu’il estimait que c’est là où les socialistes casaient leur clientèle. Il a réussi à faire liquider cette structure en affirmant du haut de la tribune de l’Assemblée nationale qu’elle provoquait la fuite de nos capitaux, la corruption et qu’ il y avait un détournement de cent milliards. C’était un piège et le président Abdou Diouf est tombé dans le piège.

Dans la foulée poursuit M.Tall, « d’autres structures comme la Caisse de péréquation ont été dissoutes ou privatisées -cas de la SONACOS-. Il est temps, conclut- il, qu’on fasse une rétrospective. Car la mort de la filière arachide serait une véritable catastrophe pour notre pays. Si on réussit par contre à acheter en l’espace de trois mois huit cent mille tonnes d’arachide, on va, du coup injecter près de 152 milliards. Ce qui va relancer l’économie du pays ». L’idée d’une trituration artisanale de nos graines a été par ailleurs balayée d’un revers de main par celui qui croit dur comme fer « que les paysans n’ont pas vocation de triturer mais plutôt de produire et vendre ». « IL faut professionnaliser les acteurs et les secteurs car une république ne peut fonctionner sans organisation’’.
 
Code des Impôts, Crise du Riz
 
Autres sujets abordés: les réformes annoncées dont celui du code des impôts. « Je l’approuve car l’ancien était devenu obsolète et il fallait le relooker, le refondre pour une bonne harmonisation. Ceci afin de pousser tous les contribuables à payer, et par ricochet, combattre l’injustice découlant du fort taux de subvention pour les ONG qui menaient une concurrence sauvage. Le nouveau code vient rappeler aux entreprises des zones franches qui avaient des faveurs, à leurs obligations. Idem pour les vignettes jugées « contraignantes ». « En la supprimant ou transférant à la pompe, l’Etat va récupérer cette taxe de manière sûre » souligne Mr. Tall. Le riz bien sûr était incontournable au cours de cet entretien.

«  Depuis l’indépendance le riz était géré de main de maître par le pouvoir en place. Un beau jour on décrète que le marché est libre et, cerise sur le gâteau, libre à qui veut importer du riz. Il suffisait d’avoir un dossier, un magasin et une surface financière. La solution qui a permis de règlementer les licences de téléphonie n’est pas appliquée au riz. Ainsi en 1989 eut lieu la première libéralisation du riz entier, ce pour tester les importateurs. Nous n’étions que deux : Bocar Samba Dièye et votre interlocuteur Moustapha Tall. En 1995 ce fut la libéralisation totale laquelle a conduit au désordre.

‘’J’ai la solution pour rendre mon pays autosuffisant en riz’

De 1995 à 2003, Le Sénégal a vécu beaucoup de problèmes: pénuries, hausses etc. J’ai été voir le Président Wade pour lui parler de la situation et préconiser une solution de sortie de crise. Un Conseil présidentiel pour passer au crible l’ensemble des problèmes affectant le secteur du riz avait été promis mais il ne s’est jamais tenu.

Pire j’ai été combattu et jeté en prison pour un motif fallacieux de « différentiel de péréquation ». Je suis obligé à partir de ce moment de lever le pied et en 2008, il eut la crise. On fait appel à moi, mais comme le Conseil présidentiel ne s’est pas tenu j’ai dit niet.

Dans l’esquisse de solution que je préconisais il fallait mettre une subvention et lever les taxes. Cette série de mesures a été appliquée pour un laps de temps puis a été arrêtée brusquement. Beaucoup de bateaux flottants arrivaient sur Dakar concurrençant le riz subventionné. J’ai dit, gérons la crise et suggéré qu’on mette sur pied une société privée comprenant des importateurs , des riziculteurs et des commerçants, Société de Promotion et de Commercialisation du Riz Sénégalais. Ce qui a été fait. Un cabinet comptable a été commis pour faire l’analyse de la fiabilité du projet et ce cabinet a confirmé ce que je disais. La société dotée d’un capital d’un demi-milliard ne fonctionne pas jusqu’ à présent car des gens mal intentionnés veulent tuer cette société et voler de leurs propres ailes. Pour ma part je dis et affirme que j’ai la solution pour arriver à l’autosuffisance en riz de mon pays et je suis prêt à donner un délai précis et faire une évaluation chaque année. Qu’on me demande la solution. Il faut dans cette affaire un leader, un Monsieur Riz qui sera l’interlocuteur de l’Etat et l’organisateur du marché avec des engagements précis vis à vis de l’Etat. Il s’organise comme un coach avec une équipe. Au bout de cinq ans on peut devenir autosuffisant en riz ».

Donnant enfin ses impressions sur les neuf mois de Macky Sall à la tête de l’Etat Mr Tall dira « qu’il est entrain de poser des jalons fort prometteurs même si, s’empresse- t- il de préciser en neuf mois on ne peut pas juger un acteur politique. Ces jalons posés avec la coalition Bokk Yakaar sont rassurants. Ce qui m’impressionne c’est la réactivation de la Cour de répression de l’enrichissement et la création d’une Cour de justice. Les audits en cours sont aussi ceux de l’ancien régime et il n’y a aucune mainmise  des nouvelles autorités dans les dossiers déjà ficelés. L’équipe de Abdoul Mbaye a réalisé en peu de mois des performances. Le président Sall a fait aussi une déclaration de patrimoine donnant ainsi les gages de sa bonne foi. Il a aussi sifflé la fin de la récréation sur le comportement de certains dignitaires et sur l’impunité.
Revenant enfin sur le Magal Mr Tall dira « que l’institution du Magal comme journée chômée et payée est la preuve qu’il est à l’écoute de son peuple ». L’autoroute Dakar Touba aura aussi des retombées bénéfiques pour le pays. Tout cela montre qu’il veut changer ce pays.

« Je lui demande cependant de penser à l’éducation de nos enfants en réformant le système éducatif en rendant notamment le service militaire obligatoire pour les jeunes de 18 ans. Ainsi on arrivera à juguler les incidents comme ceux survenus lors du match Sénégal Côte d’Ivoire, grâce à la discipline et la bonne éducation. Je demande aussi qu’on revienne sur la peine de mort pour mettre un terme à la violence et aux agressions. »
 

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Samedi 23 Mars 2013 08:49

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