La «malédiction» des dauphins
Ses modèles politiques ? Nelson Mandela, «une légende vivante», Charles de Gaulle, «pour son courage et son nationalisme», et Mao Zedong. «Je suis un libéral, mais ce n’est pas incompatible. Je crois que la révolution chinoise a eu ses mérites. Et puis je pense, comme lui, qu’il faut encercler les villes par la campagne pour l’emporter». Ayant frayé avec les maoïstes au lycée de Kaolack, d’abord, et à l’Université de Dakar, ensuite, Macky Sall s’est très vite reconverti au libéralisme – il a voté pour Abdoulaye Wade en 1983 –, fasciné par le discours du leader du «Sopi» (changement, en wolof). «Je n’ai jamais cru au marxisme, confiera-t-il plus tard. Mais je dois reconnaitre que ça m’a formé sur le plan politique».
Son passage à la tête du gouvernement sera remarqué. Non seulement il détient le record de longévité pour un Premier ministre de Wade, mais aussi parce qu’il a «fait bouger beaucoup de choses», disent certains observateurs. Contrairement à son prédécesseur, Idrissa Seck, le «jardinier des rêves» de son maître, Sall, «c’est un ingénieur tourné vers les grands projets», expliquait Babacar Guèye (Jeune Afrique n°2626 du 8 au 14 mai 2011). Son règne a coïncidé avec le début des réalisations : l’autoroute à péage, les travaux de la corniche, l’aéroport, etc. Pourtant, malgré un bilan positif à la tête de la Primature, Macky Sall n’échappera pas à la «malédiction» des dauphins de Wade. La chute intervient en 2007. Après avoir dirigé la campagne victorieuse de son mentor lors de l’élection présidentielle, remportée largement au premier tour, Macky se voit petit à petit écarté. Il n’est pas reconduit au poste de Premier ministre mais se «console» avec la présidence de l’Assemblée nationale. Il n’y restera qu’un an avant d’être contraint à rendre au président Wade ce qu’il lui avait «confié». Son destin a basculé lorsque l’Assemblée nationale convoque Karim Wade pour s’expliquer sur les comptes de l’Agence nationale de l’organisation de la conférence islamique (Anoci). On connait la suite.
Touché dans un orgueil, selon ses proches, l’ingénieur docile et effacé d’hier décide de prendre son destin en main et de voler de ses propres ailes. Il devient «Niangal» (surnom que les Sénégalais lui ont donné à cause de son apparente sévérité). Quoique hésitant au début, mais poussé par un cercle de proches, il décide de créer son propre parti, l’Alliance pour la République (Apr). «Macky n’était pas chaud au début mais, avec un groupe de fidèles, nous l’avons convaincu», confie Mody Sy, responsable régional de l’Apr à Matam, un des premiers à rejoindre le maire de Fatick après sa disgrâce. Ironie de l’histoire, c’est durant cette traversée du désert que l’ancien Premier ministre de Wade part à la conquête du pouvoir. Instruit par le sort d’Idrissa Seck, un autre frère libéral tombé en disgrâce et dont l’opinion ne comprenait pas les tergiversations avec le pouvoir, Macky Sall adopte, dès le début, une position cohérente et constante. Se démarquant d’Idrissa Seck dont l’image avait été fortement écornée à cause de ses allers et retours au palais, Macky, après la rupture, refuse toute audience avec Wade. Ensuite, alors que l’opposition s’accrochait à l’idée illusoire d’un candidat unique, lui fait savoir qu’il sera candidat. Et, après la validation de la candidature du président Wade par le Conseil constitutionnel, il décide très tôt de changer de stratégie en allant battre campagne à l’intérieur du pays, contrairement à certains candidats de l’opposition qui ont choisi de poursuivre les manifestations à Dakar. Certains leaders de l’opposition lui ont reproché cette «trahison». Qu’importe ! Sa stratégie a payé. Il était convaincu qu’il est possible de battre Wade dans les urnes.
Métissage à la sauce sénégalaise
Même ses plus grands détracteurs lui reconnaissent son «sénégalo-compatibilité» lui permettant de se faire entendre dans n’importe quelle région du Sénégal. Son métissage à la sauce sénégalaise est, en effet, un atout considérable : fils de toucouleurs installés en pays sérère, il est marié à une sérère, est mouride et parle cinq langue : le wolof, le sérère, le pulaar, le français et l’anglais. Un autre atout non négligeable, il a su cultiver une image d’un homme sérieux, bien éduqué et respectueux des personnes âgées. C’est ainsi qu’il s’est jusque-là refusé, malgré tout ce qui s’est passé, à toute attaque personnelle contre le président Wade envers qui il dit avoir «beaucoup de respect», écartant toute idée de revanche sur son ancien mentor. Aujourd’hui, l’élève a dépassé le maître. Les trois prédécesseurs de Macky Sall ont marqué l’histoire politique du Sénégal. Chacun avec son style : Senghor avait son génie littéraire et politique, Abdou Diouf son leadership et son sens de l’Etat, Abdoulaye Wade son habileté politique, son éloquence et surtout sa capacité à bousculer les choses. Mais sa jeunesse et sa réputation de travailleur sérieux et discret lui donnent peut-être le profil du type de président qu’attendaient les Sénégalais. Un président moins omnipotent, efficace, compétent, à la gouvernance sobre et vertueuse, et attentif à leurs préoccupations. Autre chose, il fait partie des nouveaux dirigeants qui n’ont pas vécu la domination coloniale.
Né le 11 décembre 1961 à Fatick, le nouveau président de la République du Sénégal est un pur produit de l’école publique sénégalaise. A la différence de ses trois prédécesseurs tous formés en France, Macky Sall a effectué l’essentiel de ses études au Sénégal – il est toutefois diplômé de l’Institut français du pétrole (Ifp) de Paris. Son enfance fut modeste. Son père Amadou Abdoul Sall, militant du Parti socialiste (Ps), fut manœuvre dans la fonction publique, puis gardien. Sa mère, Coumba Thiombo, était obligée de vendre des arachides pour compléter les maigres revenus de la famille et nourrir ses quatre enfants. Ses origines, son parcours etc., chez Macky Sall, finalement, tout ressemble au commun des Sénégalais. Ce qui explique, peut-être, le fait qu’il ait pu rassurer beaucoup d’entre eux.
Seydou KA
Source: Le Soleil