Plages de Guédiawaye : Mortelles alertes à Malibu

Plus d'une dizaine de noyades en un week-end. Sur des plages interdites à la baignade, la jeunesse de Guédiawaye se gâche. Courageuse ou débile ? Grande question rhétorique et philosophique dont les réponses dépassent les mirages simplistes de ces deux qualificatifs.


"Papa, il y a un mort dans la mer". Neuf mots terribles sortis d'une bouche naïve. Tout est parti d'une ballade comme on en fait des centaines sur la plage de Gadaye (Guédiawaye) en ce période de chaleur caniculaire. Elle s'est transformée en scène de drame. À la vue du corps flottant, deux mouvements se distinguent. Quand certains courraient pour sortir de l'eau, d'autres se précipitaient pour en sortir le corps inerte. Au gré des flots des vagues, les volontaires spontanés finissent par s'en saisir. Une chaîne de solidarité se forme rapidement. Une vendeuse de "madd" (Saba senegalensis) et de poche d'eau fraîche propose de fournir ses propres pagnes pour couvrir la dépouille inanimée. Le petit groupe dépose le corps à même le sol, lui lie les deux jambes et croise ses bras sur la poitrine. Les couleurs vivantes des pagnes de la vendeuse de "madd" contrastent avec le caractère blême et inerte de ce petit corps abimé de toutes parts. Une fois que le corps est recouvert et passées quelques minutes de choc, la vie reprend sur la plage entre parties de foot, baignade et autres jeux. Il faut dire que des scènes similaires se sont déroulées trois fois de suite ce mardi 31 juillet. Six corps ont échoué sur la même plage la veille et deux autres le dimanche. En trois jours, les flots ont donc rejeté 11 corps à la plage de Gadaye située aux confins de la frontière communale entre Guédiawaye et Malika.

Week-end macabre

La position géographique basse de la plage de Gadaye fait qu'elle est l'épilogue de ces scènes douloureuses de noyade. "Les courants y ramènent les corps", éclaire Omar Dieng Sarr, le sous-préfet de Guédiawaye. Pourtant le prologue de ces tragédies se déroule six kilomètres plus haut, à Malibu, en référence à la célèbre série américaine des années 90. C'est là où nous nous rendons mercredi 1er août à 18h. Sur place, Mame Astou Lô, 18 ans, batifole insoucieusement dans l'eau avec un deux-pièces osé. "L'habileté à se dévêtir en public" dont parle l'historien français Christophe Granger dans "La Saison des apparences" (Editions Anamosa, paru en 2017) que confèrent les plages se vérifie dans ce haut lieu de rendez-vous estival. En effet, à la plage, il y a des règles tacites comprises par tout le monde et qui ne sont, en général, jamais remises en question. Sourire large mettant en valeur un peu plus ses fossettes sur des joues plates couronnant un joli minois, la jeune fille n'en a cure des regards insistants. Mais, l'insouciance a ses limites. "Je ne veux pas aller plus loin. C'est dangereux car la baignade est interdite", dit-elle, consciente. En effet, dès qu'on arrive sur ce site, passé les étables des informels, des marchands rivalisant de propositions culinaires, un panneau se dresse face aux visiteurs : "Baignade interdite". "Je suis en vacances à Golf, j'habite à Darou Khoudoss à Touba", finit-elle de se présenter. La jeune Mame Astou profite de ses vacances mais surtout du fait que sa "mère (soit) partie en France". Elle continue à barboter sur le peu d'eau et finit par se plaindre que le sable l'importune intimement. "C'est bien fait pour toi", se réjouit Absa Ndiaye, sa copine du même âge qui l'accompagne. Elle a fait le choix de ne pas faire trempette. "C'est une plage dangereuse. J'habite ici, j'y viens régulièrement, mais je ne me lave jamais". Cette prudence n'est pas respectée par un couple d'une trentaine d'années. Malgré des précautions, ils coordonnent des gestes farfelus dont la cohérence ne saute pas aux yeux à première vue. "Mon épouse et moi sommes venus faire un lavage rituel qu'on nous a conseillé de faire. Je devais plonger sept fois dans la mer et elle trois fois", avoue sans sourciller ce prof d'éducation physique et sportive requérant l'anonymat mais qui consent à dire être diplômé de l'Inseps (Institut national supérieur de l'éducation populaire et du sport) au début des années 2010 et servant dans le Sud du Sénégal.

10 000 personnes par jour

"La baignade y est interdite ?", sursaute le prof d'éducation physique et sportive quand on lui fait la remarque. "Non je ne savais pas. Depuis mon retour à Dakar, il y a quelques semaines, je viens courir sur la plage régulièrement. Mais je n'avais jamais remarqué l'inscription". Seydina Dioum, 32 ans, habitant à Keur Massar, assume sa responsabilité. "C'est dangereux mais je me lave", dit-il en sortant de l'eau. "Ok, nous sommes responsables en cas de noyade mais il ne faut pas passer sous silence les autres responsabilités. Les mairies et l'Etat doivent faire plus pour prévenir les risques de noyade comme cela se fait dans certains pays", compare-t-il avec ce qu'il a vu en Espagne où il était parti en vacances. "Sur cette plage, il n'y a personne pour sensibiliser les plus jeunes". La seule organisation perçue est un groupe d'une centaine de personnes en train de faire du sport. Tenue flashy en vert fluo, ce sont les "Mom sa yaram" (prendre soin de son corps). "Nous proposons des cours de fitness du lundi au vendredi de 17 à 19h", précise un des membres du staff. La plage de Malibu accueille jusqu'à 10.000 personnes par jour", confie le sous-préfet Omar Dieng Sarr.

Jeudi 02 août : La route qui part de Yeumbeul, en passant par Asecna, pour longer la cité Gadaye et prendre fin au rondpoint de ladite cité en face de la mer est prise d'assaut de 16h à 19h tous les jours, comme peut l'être le marché Hlm en veille de Tabaski. "Nous allons à la plage de Gadaye car nous n'avons pas le choix", explique Fanta, jeune bachelière originaire de Yeumbeul et qui aspire à faire des études en médecine. "Avec la chaleur, il devient difficile de rester dans nos maisons où la promiscuité est la règle. La plage est notre unique lieu de loisir et un débouché à notre enclavement", dit-elle. Bien que la baignade soit interdite sur cette plage de Gadaye, il n'y a aucun panneau, aucune signalisation, contrairement à la plage de Malibu dépendant de la mairie de Golf Sud. Samedi 04 août, il est 19 heures passées, la forte affluence baisse et on se réjouit d'absence de cas de noyade en ce premier week-end.

À l'heure où les rayons du soleil ont encore du mal à dire au revoir, un pêcheur lance inlassablement son filet particulier pour attraper des crabes. Elles ne manquent pas à Guédiawaye à tel point qu'un quartier entier en porte le nom : Cité Djingxob (la cité des crabes). Le pêcheur solitaire finit par en prendre une petite douzaine drainée par les flots des vagues. Ces mêmes flots avaient fait échouer 11 corps inertes quelques jours plutôt et rien n'a changé depuis.



Jeudi 9 Aout 2018 08:04

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