Le projet de révision de la Constitution, depuis sa publication, suscite des débats
passionnés. Ce qu'il faut retenir d'emblée pour le saluer, c'est le fait que le Président
de la République a voulu s'en tenir à sa promesse. Cela montre qu'il y a là une
démarche conforme à l'éthique, au plus haut sommet de l'Etat. C'est une belle décision
qui nous réconcilie avec les pratiques de gouvernement articulés à la philosophie
morale de notre société, dans un esprit républicain.
Beaucoup parmi nos compatriotes, en particulier les acteurs politiques opposés au
camp présidentiel, ont émis des doutes malgré la récurrence du discours du Président
de la République, invariable sur la question. L'on peut comprendre cette incrédulité
d'une frange de la classe politique et de l'opinion car habitués que nous étions aux
promesses électorales le plus souvent trahies. Il y aurait même un théorème dans ce
sens qui voudrait que "les promesses n'engagent que ceux qui y croient''.
Aujourd'hui, avec le processus enclenché par le Président de la République, le débat
s'est déplacé sur le caractère impératif ou non de l'avis du Conseil constitutionnel.
Quelle serait la posture du Président de la République particulièrement sur le point
concernant la rétroactivité de la réduction de son mandat? Je n'ai pas de prétention à
entrer dans le débat juridique, (''lié'', pas ''lié'') qui a cours entre théoriciens du droit
constitutionnel. Je situe ma contribution au niveau du citoyen ordinaire, qui croit à la
République et qui milite pour sa consolidation.
Ainsi, je pose le problème sous l'angle plutôt symbolique et moral. Sur ce plan, la
problématique qui est devant nous est relative au caractère moral que peut revêtir cet
avis par rapport au Président de la République face aux institutions dont il est le
gardien et la clef de voûte.
Autrement dit, est-il raisonnable, dans une perspective républicaine et non
politicienne, d'entrainer le Président de la République à accorder plus de valeur à une
promesse électorale au détriment d'une obligation constitutionnelle? L'on va me dire
que la parole est sacrée; nul n'en disconvient. Mais la parole est-elle plus sacrée que le
serment, prêté dans les termes suivants, les termes mêmes de la constitution?
" Devant Dieu et devant la Nation sénégalaise, je jure de remplir fidèlement la
charge de Président de la République du Sénégal, d’observer comme de faire
observer scrupuleusement les dispositions de la Constitution et des lois, de
consacrer toutes mes forces à défendre les institutions constitutionnelles,
l’intégrité du territoire et l’indépendance nationale, de ne ménager enfin
aucun effort pour la réalisation de l’unité africaine". Article 37.
Or, jusqu'à preuve du contraire, la constitution actuelle que le Président a juré de
défendre et de respecter dans ces termes, est prioritaire, de mon point de vue, sur une
volonté exprimée, aussi noble soit-elle, alors qu'il était candidat.
Rappelons, si cela est nécessaire, que la constitution est, entre autres, un instrument de
régulation de l'action politique afin que l'on ne soit pas guidé par sa seule passion, ses
seuls désirs et que les motifs de l'acte des gouvernants ne soient pas leur seul intérêt
du moment. Elle est la norme supérieure qui s'impose à chacun et à chacune, en
particulier à ceux qui en sont les gardiens ou qui aspirent à le devenir. Elle est l'outil
qui permet à la vie politique d'être stable tout en étant dynamique, d'être saine,
régulière et profitable aux citoyens. En effet, elle leur assure un environnement de
légalité durable qui permet l'activité de production de richesse et de reproduction des
valeurs dans le but d'une transformation positive de la société. C'est pour cela qu'elle
gagne à être consolidée par tous, respectée par tous les acteurs et à être placée en
dehors des malices des uns et des autres.
Ceci dit, maintenant que le processus de révision est enclenché et que le doute est levé
sur la volonté de réduction du mandat, c'est l'applicabilité à ce mandat en cours qui
est au centre des préoccupations. Cependant, même si cela rencontre nos propositions
en tant que parties prenantes des Assises nationales, force est d'admettre que cela n'est
pas du propre ressort du Président de la République. Cela relève de la compétence des
sages du Conseil constitutionnel d'abord et la suite viendra. Et à mon humble avis,
pour rester dans la perspective républicaine, il est préférable que nous soyons tous
''liés'' par cet avis, y compris le Président de la République, sachant qu'il est la clef de
voûte des institutions. Cela veut dire que son attitude par rapport à ces instituons a
pour conséquence de les soutenir ou de les affaiblir pour ne pas dire les affaisser. Or,
de la stabilité institutionnelle dépend celle de la société sans quoi l'on ne peut rêver de
productivité ni de développement durable encore moins d'émergence.
En sa qualité de gardien de la Constitution, aller à contre-courant de l'avis du Conseil
pourrait signifier, en dehors d'une confirmation de sa volonté de respecter sa parole,
deux à trois choses.
1- Que cet avis ne soit pas assez motivé ni en droit ni par référence à l'histoire et à la
sociologie de notre pays. Ce qui me semble être irréaliste puisque ce serait une sorte
d'incompétence impardonnable et inimaginable pour une telle institution, devant une
affaire si grave pour le devenir de la nation. Si le Président de la République est ''le
gardien de la constitution'' sur le plan symbolique, le Conseil constitutionnel, chargé
de veiller à la prévalence de ladite constitution, dans son esprit et dans sa lettre, en est
aussi ''gardien'' et ''garant''. Et il n'y a pas de doute, à mon niveau, qu'il va y trouver,
dans l'exercice qui lui est demandé, les faisceaux qui éclairent sur ce qui est conforme
à la loi fondamentale et les outils qui militent en faveur de son respect.
2- Que le Président de la République préfère sa propre parole, aussi séduisante soit-
elle dans l'immédiat, aux conclusions des sages qui, en l'espèce, ne présentent pas une
simple opinion, c'est bien plus que cela. Car même si l'on parle d'avis, prosaïquement,
l'on pourrait voir au fond, en cela, une recommandation de fait. Ce, d'autant plus que
dans la tradition, les autorités de la République ont toujours suivi la direction indiquée
par le Conseil constitutionnel. C'est parce que, même s'il n'y pas une exigence
constitutionnelle expresse, il y a, tout de même, une exigence morale vis à vis de la
constitution et de ses garants qui, en la matière, en savent plus qu'elles. Dans tous les
cas, cet avis est toujours fondé en droit, et comme on le sait le droit est éclairé par
l'histoire et la sociologie politiques du pays.
3- Cela exposerait plus facilement le Conseil constitutionnel à la défiance future des
acteurs politiques qui manifestent souvent leur manque de confiance à l'institution. De
ce point de vue, ne pas tenir compte des ''recommandations'' du Conseil pourrait
réduire l'estime des citoyens aussi bien pour lui que pour le Président de la
République qui serait accusé de ne pas lui accorder la considération qu'il mérite. Ce
qui contribuerait à fragiliser davantage l'intuition constitutionnelle et à flétrir son
prestige, en tant que responsable du respect de la Constitution et de l'Etat de droit. Or,
cette même constitution fait du Président de la République '' le garant du
fonctionnement régulier des institutions".
Compte tenu de tout cela, je pense, en tant que simple citoyen, que l'avis du Conseil,
quel qu'il soit (je souligne), doit être respecté par nous tous. Ceci pour signifier notre
attachement, en tant que républicains, aux institutions et notre désir de les conforter
dans leur rôle normatif et régulateur. En le faisant, malgré la diversité partisane,
j'allais même dire grâce à cette diversité, nous consolidons les bases de notre cohésion
en tant que nation et le consensus autour des institutions que nous nous sommes
librement choisies.
Abdoul Azize KEBE
Enseignant-chercheur/UCAD
Coordonnateur du Groupe
Rencontres et Études sur Islam et
Société (GREIS)
passionnés. Ce qu'il faut retenir d'emblée pour le saluer, c'est le fait que le Président
de la République a voulu s'en tenir à sa promesse. Cela montre qu'il y a là une
démarche conforme à l'éthique, au plus haut sommet de l'Etat. C'est une belle décision
qui nous réconcilie avec les pratiques de gouvernement articulés à la philosophie
morale de notre société, dans un esprit républicain.
Beaucoup parmi nos compatriotes, en particulier les acteurs politiques opposés au
camp présidentiel, ont émis des doutes malgré la récurrence du discours du Président
de la République, invariable sur la question. L'on peut comprendre cette incrédulité
d'une frange de la classe politique et de l'opinion car habitués que nous étions aux
promesses électorales le plus souvent trahies. Il y aurait même un théorème dans ce
sens qui voudrait que "les promesses n'engagent que ceux qui y croient''.
Aujourd'hui, avec le processus enclenché par le Président de la République, le débat
s'est déplacé sur le caractère impératif ou non de l'avis du Conseil constitutionnel.
Quelle serait la posture du Président de la République particulièrement sur le point
concernant la rétroactivité de la réduction de son mandat? Je n'ai pas de prétention à
entrer dans le débat juridique, (''lié'', pas ''lié'') qui a cours entre théoriciens du droit
constitutionnel. Je situe ma contribution au niveau du citoyen ordinaire, qui croit à la
République et qui milite pour sa consolidation.
Ainsi, je pose le problème sous l'angle plutôt symbolique et moral. Sur ce plan, la
problématique qui est devant nous est relative au caractère moral que peut revêtir cet
avis par rapport au Président de la République face aux institutions dont il est le
gardien et la clef de voûte.
Autrement dit, est-il raisonnable, dans une perspective républicaine et non
politicienne, d'entrainer le Président de la République à accorder plus de valeur à une
promesse électorale au détriment d'une obligation constitutionnelle? L'on va me dire
que la parole est sacrée; nul n'en disconvient. Mais la parole est-elle plus sacrée que le
serment, prêté dans les termes suivants, les termes mêmes de la constitution?
" Devant Dieu et devant la Nation sénégalaise, je jure de remplir fidèlement la
charge de Président de la République du Sénégal, d’observer comme de faire
observer scrupuleusement les dispositions de la Constitution et des lois, de
consacrer toutes mes forces à défendre les institutions constitutionnelles,
l’intégrité du territoire et l’indépendance nationale, de ne ménager enfin
aucun effort pour la réalisation de l’unité africaine". Article 37.
Or, jusqu'à preuve du contraire, la constitution actuelle que le Président a juré de
défendre et de respecter dans ces termes, est prioritaire, de mon point de vue, sur une
volonté exprimée, aussi noble soit-elle, alors qu'il était candidat.
Rappelons, si cela est nécessaire, que la constitution est, entre autres, un instrument de
régulation de l'action politique afin que l'on ne soit pas guidé par sa seule passion, ses
seuls désirs et que les motifs de l'acte des gouvernants ne soient pas leur seul intérêt
du moment. Elle est la norme supérieure qui s'impose à chacun et à chacune, en
particulier à ceux qui en sont les gardiens ou qui aspirent à le devenir. Elle est l'outil
qui permet à la vie politique d'être stable tout en étant dynamique, d'être saine,
régulière et profitable aux citoyens. En effet, elle leur assure un environnement de
légalité durable qui permet l'activité de production de richesse et de reproduction des
valeurs dans le but d'une transformation positive de la société. C'est pour cela qu'elle
gagne à être consolidée par tous, respectée par tous les acteurs et à être placée en
dehors des malices des uns et des autres.
Ceci dit, maintenant que le processus de révision est enclenché et que le doute est levé
sur la volonté de réduction du mandat, c'est l'applicabilité à ce mandat en cours qui
est au centre des préoccupations. Cependant, même si cela rencontre nos propositions
en tant que parties prenantes des Assises nationales, force est d'admettre que cela n'est
pas du propre ressort du Président de la République. Cela relève de la compétence des
sages du Conseil constitutionnel d'abord et la suite viendra. Et à mon humble avis,
pour rester dans la perspective républicaine, il est préférable que nous soyons tous
''liés'' par cet avis, y compris le Président de la République, sachant qu'il est la clef de
voûte des institutions. Cela veut dire que son attitude par rapport à ces instituons a
pour conséquence de les soutenir ou de les affaiblir pour ne pas dire les affaisser. Or,
de la stabilité institutionnelle dépend celle de la société sans quoi l'on ne peut rêver de
productivité ni de développement durable encore moins d'émergence.
En sa qualité de gardien de la Constitution, aller à contre-courant de l'avis du Conseil
pourrait signifier, en dehors d'une confirmation de sa volonté de respecter sa parole,
deux à trois choses.
1- Que cet avis ne soit pas assez motivé ni en droit ni par référence à l'histoire et à la
sociologie de notre pays. Ce qui me semble être irréaliste puisque ce serait une sorte
d'incompétence impardonnable et inimaginable pour une telle institution, devant une
affaire si grave pour le devenir de la nation. Si le Président de la République est ''le
gardien de la constitution'' sur le plan symbolique, le Conseil constitutionnel, chargé
de veiller à la prévalence de ladite constitution, dans son esprit et dans sa lettre, en est
aussi ''gardien'' et ''garant''. Et il n'y a pas de doute, à mon niveau, qu'il va y trouver,
dans l'exercice qui lui est demandé, les faisceaux qui éclairent sur ce qui est conforme
à la loi fondamentale et les outils qui militent en faveur de son respect.
2- Que le Président de la République préfère sa propre parole, aussi séduisante soit-
elle dans l'immédiat, aux conclusions des sages qui, en l'espèce, ne présentent pas une
simple opinion, c'est bien plus que cela. Car même si l'on parle d'avis, prosaïquement,
l'on pourrait voir au fond, en cela, une recommandation de fait. Ce, d'autant plus que
dans la tradition, les autorités de la République ont toujours suivi la direction indiquée
par le Conseil constitutionnel. C'est parce que, même s'il n'y pas une exigence
constitutionnelle expresse, il y a, tout de même, une exigence morale vis à vis de la
constitution et de ses garants qui, en la matière, en savent plus qu'elles. Dans tous les
cas, cet avis est toujours fondé en droit, et comme on le sait le droit est éclairé par
l'histoire et la sociologie politiques du pays.
3- Cela exposerait plus facilement le Conseil constitutionnel à la défiance future des
acteurs politiques qui manifestent souvent leur manque de confiance à l'institution. De
ce point de vue, ne pas tenir compte des ''recommandations'' du Conseil pourrait
réduire l'estime des citoyens aussi bien pour lui que pour le Président de la
République qui serait accusé de ne pas lui accorder la considération qu'il mérite. Ce
qui contribuerait à fragiliser davantage l'intuition constitutionnelle et à flétrir son
prestige, en tant que responsable du respect de la Constitution et de l'Etat de droit. Or,
cette même constitution fait du Président de la République '' le garant du
fonctionnement régulier des institutions".
Compte tenu de tout cela, je pense, en tant que simple citoyen, que l'avis du Conseil,
quel qu'il soit (je souligne), doit être respecté par nous tous. Ceci pour signifier notre
attachement, en tant que républicains, aux institutions et notre désir de les conforter
dans leur rôle normatif et régulateur. En le faisant, malgré la diversité partisane,
j'allais même dire grâce à cette diversité, nous consolidons les bases de notre cohésion
en tant que nation et le consensus autour des institutions que nous nous sommes
librement choisies.
Abdoul Azize KEBE
Enseignant-chercheur/UCAD
Coordonnateur du Groupe
Rencontres et Études sur Islam et
Société (GREIS)