Pour une liberté académique véritable, « Disons non à la peur qui fait fuir »


La meilleure des connaissances est celle qui mène l’homme vers les hommes » disait Seydou Badian. L’histoire nous rappelle en effet que les savoirs accumulés depuis des millénaires ont soulevé chez leurs dépositaires la question de leur pérennité, et ainsi de leur transmission aux générations suivantes. De débats et échanges privés, s’est organisée et structurée toute une architecture de transfert de connaissances d’abord avec les écrits anciens, en passant par les lectures dans les amphithéâtres romains, jusqu’aux écoles, instituts, centres de formation et universités qui témoignent aujourd’hui de la vitalité de la connaissance et de l’impérieuse nécessité de la partager. A l’échelle de l’enseignement supérieur, faire le choix de créer une université, c’est prendre l’initiative de semer une graine de lumière pour faire régner la vérité, stimuler l’éclosion des talents et contribuer au progrès de l’humanité. L’Université est le temple où l’on célèbre la transmission de l’ensemble des savoirs qui expriment le génie d’un peuple et l’orientent vers le développement endogène durable. Elle est également le lieu où l’on crée les savoirs, les conserve et les renouvelle, par l’innovation et la créativité. Elle a vocation à être un sanctuaire où l’on cultive toutes les formes d’intelligence (émotionnelle, cognitive, stratégique, prospective, éthique, juridique, économique, etc.) dont la jeunesse constitue le receptacle.
Ainsi perçue, l’université occupe dans l’Etat, une place centrale dans la construction de la citoyenneté et de la fortification des institutions républicaines. « Si l’université n’est pas le lieu privilégié où l’on apprend à aimer son pays, il est le lieu par excellence où l’on apprend à ne pas le trahir, c’est-à-dire par la résistance au pouvoir de l’argent, aux honneurs éphémères et futiles de la politique, à la substitution des intérêts égoïstes et personnels, corporatifs et religieux au bien commun », (Aloise Raymond Ndiaye).
Par le pacte académique qu’elle scelle entre les formateurs et les apprenants, l’université est une invite à l’Humilité dans la quête du savoir, à la Générosité dans sa transmission ainsi qu’à l’engagement au service de la liberté, du respect, de la probité, de l’abnégation, du sens de l’honneur et du sacrifice pour traduire notre fidélité à la patrie.
Une véritable université est à la fois espace et temps, corps et esprit, science et conscience ; elle a par conséquent une âme qui fait son essence et sous-tend son existence. C’est cette âme qui procure l’énergie nécessaire aux composantes de la communauté universitaire et stimule sa foi dans la défense de ce que la société a de primordial. Platon ne disait-il pas que « les remparts des cités ne sont pas les pierres mais les hommes »,
Une véritable université se dresse comme un double rempart car d’une part, elle a vocation à contribuer à la défense des valeurs de l’humanité, des libertés sans lesquelles la dignité humaine est vidée de son sens ; et d’autre part, elle construit, par la formation, les remparts humains des cités. C’est la raison pour laquelle la responsabilité de l’enseignant à l’université est grave, très grave. Le corps enseignant a la responsabilité d’accompagner sans travestir, l’apprenant dans sa quête pour plus d’humanité, et surtout pour disposer d’une capacité de jugement autonome parce que libéré de toute forme de domination. Il doit incarner des valeurs positives et être conscient du modèle qu’il symbolise au regard de la société et des jeunes générations.
Tout universitaire est conscient que son université et les étudiants constituent fondamentalement sa raison d’être ; que serait une université privée d’étudiants ? Au delà de l’activité professionnelle que constitue le métier d’enseignant, doit naitre un amour véritable pour ce métier. A partir de là, tout enseignant découvrira comme le rappelait le philosophe de la prospective Gaston Berger, que « comme l’amitié, l’enseignement exige un difficile sacrifice. Ne pas chercher à former notre disciple à notre image. Ne pas lui imposer nos goûts ou notre système, lui donner les moyens, pour être lui-même, d’être, s’il le faut, tout à fait différent de nous. Il est peu d’hommes assez détachés pour réaliser cela sans souffrir. Mais, à travers tout ce que perd alors l’amour-propre, nous goûtons la joie supérieure d’ouvrir un esprit, de le mettre en possession de son autonomie. De lui donner comme une seconde naissance ».
Cet amour véritable impose au corps professoral une éthique et une dignité. Il impose la conscience de l’influence que l’enseignant peut exercer, positive, comme négative car l’apprenant se met à disposition pour apprendre en toute confiance. Il convient dès lors, et cela va sans dire, qu’il serait contraire à toute forme d’éthique et de dignité d’abuser de cet apprenant, de le corrompre moralement ou de le manipuler, ce qui équivaudrait à le déformer, à l’abrutir ou à le conduire vers l’exclusion sociale. Il importe fondamentalement de respecter son droit à l’éducation et d’honorer le pacte moral signé avec la Nation pour faire de lui un rempart efficace, l’accompagner par les savoirs, sur le chemin de la réussite et du bonheur. Avec le souffle de Gaston Berger, la responsabilité de l’enseignant s’adoucit car, comme le rappelle si bien Khalil Gibran qui nous apprend que  « l’amitié est une douce responsabilité ».
Fort de la douceur de ce soutien amical, le temps passé à l’université est ainsi le plus heureux temps de la vie. La sagesse populaire nous apprend que « le plus beau temps de la vie, n’est pas celui où l’on a qu’à se laisser vivre : c’est celui où, en pleine possession de ses facultés, et en pleine maîtrise de soi, on est engagé dans la lutte pour l’existence, où l’on a conscience d’y jouer un rôle utile et de faire un peu de bien autour de soi, selon les moyens dont on dispose et la situation qu’on s’est faite à soi-même par ses libres efforts. Vous avez donc toute raison  d’espérer ; l’avenir vous est ouvert, et il sera pour vous ce que vous en aurez fait. Soyez convaincus que si tant d’hommes et de femmes se plaignent d’avoir passé à côté du bonheur, c’est qu’ils ont oublié de lui donner rendez-vous et qu’ils ne savent ni ce qu’il est ni où il se trouve».
Si la vie à l’Université peut paraître par moment difficile à vivre, on pourrait s’interroger sur la manière dont cette vie est vécue, si le bonheur tant recherché est attendu au bon endroit. Il est souvent recherché dans la facilité et la responsabilité des autres, alors qu’il est dans le travail actif, intelligent et pleinement assumé. Il est recherché parfois dans la révolte, alors qu’il est dans la discipline et la politesse. L’histoire des sociétés africaines nous édifie sur nos défaites souvent dues à l’ignorance de cette règle.
 
La jeune université sénégalaise incarne les espoirs d’une nation jeune mais au cœur meurtri parce que longtemps blessée dans sa fierté et sa dignité ; une nation qui attend ses enfants et qui ne doit être ni trahie ni en souffrance continue. Cela ne nécessite que du travail dans son sens noble, et le véritable don de soi.
« Le travail est la loi de l’Homme ». L’Université accompagne les hommes dans l’apprentissage du travail, dans le développement de toutes les puissances actives de leur être, pour mettre toutes les générations d’apprenants en état d’affronter la vie et de suffire à leurs exigences dans un environnement souvent démuni. Regarder autour de soi les vraies réalités du pays devrait contraindre les universitaires comme les gouvernants à plus d’humilité, de dignité, d’abnégation, de gouvernance transparente pour mériter des privilèges qui leur sont consentis avec l’argent du contribuable.
L’Université est par excellence le lieu d’apprentissage de l’exercice citoyen de la liberté. Mais la vraie liberté consiste à avoir la maîtrise de soi, à gouverner ses actes et ses paroles, à se soumettre à la raison et au bon sens avec une connaissance lucide des limites de l’infranchissable. Le citoyen lucide et clairvoyant ne doit pas forcer l’Etat à se servir des armes que la Nation met entre ses mains ; l’apprenant ne doit pas non plus forcer ses maîtres à user des armes que la discipline met entre leurs mains. C’est en cultivant cette vraie liberté, que la communauté universitaire se rend digne des privilèges que sont les franchises universitaires, cette valeur hautement académique qui fonde le respect de l’autre, stimule la patience et entretient la sérénité dans toute activité réflexive sur la sacralité de ce qui fait l’âme de l’Université.
Les franchises universitaires expriment un espace éthique au sein duquel la vraie liberté est garantie dans l’intérêt supérieur dans l’institution académique. Toute attitude malveillante ou délinquante transforme l’espace franc en espace de droit commun, fait descendre les universitaires de leur piédestal et les expose à la rigueur des lois et règlements.
L’ambition de l’université sénégalaise est de former un étudiant-citoyen, véritablement libre parce que responsable, un citoyen dépositaire d’un savoir utile et de qualité, qui s’engage avec méthode et conviction, non pas pour se servir mais pour être au service du développement de sa nation, un citoyen digne et fier de son africanité et « qui n’a pas peur de la lumière de sa puissance » (Mandela), celle-là même dont le continent a besoin pour s’inventer un destin et écrire son passé.
C’est à l’université qu’on apprend la liberté responsable mai aussi le sens de l’honneur, cette « force d’action, disait Pierre Mesmer, qui pousse l’être humain à se dépasser dans des actes qui, sous une forme ou sous une autre, exigent toujours du courage jusqu’à l’abnégation totale, en faveur de réalités et de croyances supérieures, le sens de l’honneur permet de s’arracher au monde et de s’élever au-dessus des contingences de la vie. Parce qu’il est puissance d’action et refus de ce qui est bas et vulgaire, parce qu’il est avant tout un souci de soi et de l’image idéale qu’on en a, parce qu’il est impérieux dans ses commandements, le sens de l’honneur sera sans doute l’un des ferments qui fera naître la nouvelle morale de nos sociétés démocratiques ».
 
A ce carrefour, il apparaît clairement que l’université de demain sera une université de rupture ou ne sera pas. Elle se doit d’assumer avec audace ses choix stratégiques, refonder son système de gouvernance et s’ouvrir davantage sur son environnement économique, social, culturel et technologique. Elle doit réussir le pari de son adéquation avec les structures mentales, économiques, sociales et culturelles des sociétés africaines afin de leur permettre de « créer une nouvelle version de l’africanité ainsi qu’une version africaine positive de la civilisation contemporaine » (Joseph Ki-Zerbo)
Une ambition sans rupture est vaine. Lors de sa dernière visite à Dakar, la Directrice générale du FMI n’a pas manqué de rappeler que certes : « La vision que représente le Plan Sénégal Emergent (PSE) et les objectifs qu’il poursuit sont en effet ambitieux, mais ils sont réalisables s’il y a une rupture radicale avec le passé ». La rupture radicale avec le passé certes mais dans le sens du progrès et non de la régression. Et c’est dans les périodes de crise qu’il est encore plus difficile d’opérer les ruptures positives.
La crise qui secoue l’université sénégalaise ne devrait point être perçue comme un saut d’humeur éphémère de quelques esprits malsains qui cherchent à perturber le bon fonctionnement de l’institution. Il s’agit d’une crise profonde qui atteint l’université dans son âme et son esprit et qui mérite une attention plus grande si l’on ne veut pas être surpris par une tournure d’évènements tragiques comme ceux auxquels on commence malheureusement à s’habituer.
 
Récemment, le Sénégal a assisté, sans voix, à l’expression d’une rare violence morale contre l’un des symboles forts de la République à l’occasion d’une cérémonie inédite. La surprise est d’autant plus grande que l’acte en question émane d’une partie du corps professoral, qui porte haut les principes et valeurs de la République, et qui a la responsabilité de former ses élites et de leur transmettre les valeurs républicaines et de la citoyenneté. Se pose alors la question de savoir de quel mal souffre le milieu académique pour qu’une partie du corps se désolidarise de l’ensemble, se réunisse en conclave pour programmer les dimensions et les objectifs d’un rituel d’autodestruction orienté vers l’incinération préméditée d’une loi votée régulièrement par l’Assemblée nationale et l’envoi des cendres au Président de la République ?
Il s’agit là d’un phénomène, qui loin d’être anodin, rappelle tristement un 7 février de l’an 1497 où le dominicain Jérôme Savanarole avait organisé à Florence le « bûcher des vanités » pour brûler notamment les œuvres d’art et les livres de l’époque jugés immoraux. L’histoire regorge d’exemples où les livres comme les hommes, sachants ou pas, ont été jetés au feu de l’autodafé par des extrémistes qui ont posé les actes les plus attentatoires à la dignité que l’humanité ait connus. Les mêmes méthodes ont été appliquées dans le passé par les fascistes aux ouvrages dissidents, ou dont les auteurs étaient juifs, communistes, modernes, féministes, pacifistes. En Islam, les rationalistes (mu’tazila) ont connu le même sort, privant ainsi la pensée islamique de son siècle des lumières. Aujourd’hui, nous gardons frais en mémoire les souvenirs des autodafés organisés dans la ville de Tombouctou ou ceux perpétrés par les groupes djihadistes au Nigéria.
 
La cérémonie d’incinération de la loi sur les universités du 2 février a fini par réveiller tragiquement le Sénégal sur le fait que le démon n’est plus à nos portes mais a réussi à pénétrer dans nos amphithéâtres. L’écrivain allemand Henri Heine nous met en garde : « Là où on brûle des livres, on finit aussi par brûler des hommes».
Nous sommes loin de l’éthique académique fondée sur des traditions multiséculaires dont la sacralité est reconnue à l’échelle universelle. Leur aura est fonction de la source dont elles jaillissent, du milieu qui les accueille, de la foi qui les entretient et du respect, et on est tenté de dire du culte, qu’on leur voue. Certes, ce sont ces valeurs et traditions qui constituent les piliers, à la fois invisibles et manifestes, sans lesquels le système éducatif dans sa totalité s’effondre.
Dans un monde à la recherche de nouveaux repères pour canaliser les dérives de toutes sortes, où l’université sénégalaise s’engage dans des réformes hardies, nul n’est besoin d’amplifier les actes qui jurent avec les valeurs académiques et dont les stigmates ne sont pas seulement perceptibles sur le patrimoine des universités et les symboles de la République mais s’inscrivent de manière subliminale sur la conscience académique et citoyenne. Chaque universitaire, chaque citoyen, chaque gouvernant a le devoir moral et juridique de s’interroger sur l’avenir de l’université sénégalaise avec lucidité et franchise.
Le paradoxe est frappant : après que les franchises universitaires se soient nourries des luttes estudiantines, luttes soutenues parce que légitimes ou légitimées, par les armes subtiles de l’esprit du corps professoral, on note aujourd’hui que la plupart des atteintes à la sacralité des franchises universitaires proviennent des composantes de la communauté universitaire (PER, PATS et étudiants), qui comme dans une sorte de malédiction, s’auto flagellent en s’attaquant, violemment et parfois sans pudeur, soit entre eux soit à leur bien le plus précieux, celui qui donne à leurs existences respectives tout leur sens ou encore aux lois de la République qui leur confèrent toute légitimité.
Les dérives (appelés par euphémisme crises) que nous connaissons ont tantôt et malheureusement souvent pour effet un affaiblissement du sentiment d’appartenance au Temple du savoir ; tantôt et rarement un effet stimulant sur la réflexion autocritique visant la promotion du système universitaire.
« Franchises universitaires » ? L’expression séduit et effraie à la fois : elle a en effet séducteur sur tous ceux qui défendent ou croient défendre l’institution universitaire dans ce qu’elle a de fondamental ; en revanche, elle effraie en raison de tout ce qui peut être commis en son nom et qui trouve toujours alibi sans qu’aucun esprit n’ait l’audace de s’aventurer à remettre en question tant les représailles peuvent avoir un effet ouragan, balayant le prétendu juge et un effet détergeant, effaçant à jamais la crédibilité de son auteur parmi les siens. La censure est en effet très forte de la part des terroristes intellectuels qui sèment la terreur et entretiennent la peur de penser dans l’université et dans la société. Ces censeurs autoproclamés ne reculent devant rien pour préserver leurs privilèges au détriment du bien commun ; après avoir détruit les symboles du système universitaire, ils s’attaquent aux symboles de la République.
Même si l’envers des franchises universitaires gagne du terrain, cela ne devrait pas pousser les décideurs et la majorité silencieuse de la communauté académique à renoncer au dialogue et à succomber à la peur. Elle doit au contraire assumer pleinement sa responsabilité et œuvrer au recentrage du débat autour de la franchise, cette valeur hautement académique qui fonde le respect de l’autre, stimule la patience et entretient la sérénité dans toute activité réflexive sur la sacralité de ce qui fait l’âme de l’Université, le cœur au rythme duquel elle bat, la beauté de son charme congénital et original, convoité depuis la nuit des temps par toute autre institution dont la vocation n’est pas la transmission du savoir. 
Les franchises universitaires apparaissent comme une « notion caméléon », une notion flexible qui change de signification en fonction de la qualité de celui qui l’invoque, de ses intérêts du moment, de ses propres contradictions et surtout de sa culture académique, bref une notion adaptée à la nature de l’universitaire. Elle constitue alors une source de quiproquos dissolvants comme elle peut offrir un cadre d’enrichissement fécond lorsque par l’abstraction, tout le monde accepte de taire ce qui lui est propre pour se réunir autour de l’essentiel, c’est-à-dire ce qui préoccupe tous.
L’essence des franchises universitaires est en perpétuelle évolution. Il convient de la saisir pour pouvoir participer à sa construction à partir de ses acquis. Au chapitre de ces acquis, il faut inscrire les usages et coutumes académiques dont le corps professoral est détenteur, les consensus établis à l’échelle planétaire et les textes législatifs et réglementaires en vigueur. Ces derniers instruments ont fait leur entrée au Sénégal d’abord avec la loi 67-45 du 13 juillet 1967 relative à l’Université de Dakar qui proclamait en son article 3 que « l’Université de Dakar bénéficie des franchises et libertés universitaires traditionnelles ». Ce texte devait être reformulé deux ans plus tard dans le sens de la précision en vertu de la loi 69-33 du 19 juin 1969 qui disposait en son article 3 que « les franchises universitaires sont définies comme les libertés indispensables à l’objectivité de l’enseignement et de la recherche : elles sont garanties aux membres du personnel enseignant, aux chercheurs et aux étudiants dans l’enceinte des facultés, instituts et autres établissements d’enseignement supérieur ».
Comme on le constate, les franchises universitaires sont un instrument au service de la liberté académique et des libertés collatérales qui lui assurent efficacité comme la liberté de conscience et la liberté d’expression. Elle ne légitime pas un droit à la délinquance et n’a pas vocation à transformer l’université en « zone franche de la délinquance » au nom des franchises ou en « Cour des Miracles » au nom de l’autonomie de police administrative.
S’il est établi que « c’est par un double mouvement d’une part, d’affirmation de certaines valeurs,  et d’autre part, de disqualification de leur envers ou de leur transgression que tout système institue sa mise en ordre » (Cf. Lascoumes et Poncela), force est de constater que du fait des universitaires, l’ordre universitaire ne relève plus totalement des traditions et valeurs qu’ils ont forgées mais de la compétence de la loi. Les universitaires doivent jouer la carte de la lucidité et de la franchise et se démarquer de leurs membres qui, descendus de leur piédestal, font régner la terreur, transfigurent les libertés académiques et portent atteinte aux symboles de la République. Par leurs pratiques, ces derniers font entrer le bien universitaire dans le monde de l’ordinaire, si peu familier à ses membres.
On constate désormais que les difficultés de l’université sont exposées sans explication et prise de conscience des impacts, sur la place publique. Et par voie de conséquence, chacun peut prétendre et s’arroger le droit de dire son mot sur un espace qui se caractérisait par sa franchise, un domaine de libertés où seuls des initiés pouvaient légitimement discourir sur la base de la vertu acquise par le savoir en veillant scrupuleusement à mériter le  respect de leurs pairs. Leur pouvoir était celui du Savoir et avec lui, ils triomphaient des pouvoirs de la loi, du sang, de l’âge, de l’argent et même du peuple.
Il devient alors impérieux de restaurer l’autorité de la loi sans complaisance et de faire cesser, au nom de la loi et des valeurs académiques universelles, les atteintes aux libertés et aux lois de la République. Pour cela, il est important de se rappeler la leçon de J. Derrida qui considère l’université comme « le lieu où l’on dit la vérité sans condition ». « L’université, disait-il, fait profession de la vérité. Elle déclare, elle promet un engagement sans limite envers la vérité ». C’est alors l’espace où l’on célèbre la vérité pour ce qu’elle est dans toute sa netteté, sans condition politique, économique, syndicale, raciale, ethnique ou religieuse.
Au nom de la Vérité, l’université devrait méditer également avec introspection, la leçon du Président Senghor, il y a déjà un demi-siècle, à l’endroit de la communauté universitaire : « Si vous aimez votre pays, vous serez plus conscients de vos devoirs que de vos droits, qui ne sont d’ailleurs pas contestés. Or une seule idéologie est efficace pour bâtir, c’est-à-dire pour développer une nation : c’est celle du travail méthodique. Vous voyez où est votre devoir majeur. Rappelez-vous seulement qu’une nation ne se bâtit pas sur la trahison, par paresse,  de ses élites. »
La vraie rupture est de s’engager résolument dans le travail méthodique pour réformer le mode de gouvernance universitaire, les modes de renouvellement et  de transmission du savoir, les curricula et les filières, les modes de recrutement, les stratégies de lutte syndicale etc. C’est la résistance au changement, souvent fondée sur la peur, qui fait fuir les réformes en hypothéquant le progrès de nos Etats, en Afrique.
 La jeune université sénégalaise devra reprendre à son compte l’hymne de la jeunesse qui lui a été inspirée par un des leurs, universitaire et académicien, et se lever comme un seul corps pour dire « Non ! à la peur ».
« Nous disons Non à la peur qui fait fuir
(…) Tendant nos jeunes cœurs vers ton soleil, 
Oui, s’il le fallait 
Demain nous offririons notre souffle 
Pour te défendre, Ô notre patrie ! »
 
Pr Abdoullah CISSE,
Citoyen
 


Mardi 24 Février 2015 19:00

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