Rien ne va plus en Côte d’Ivoire. Le 16 août 2012, une centaine de détenus se sont évadés de la prison de Dabou, une ville située à 50 km d’Abidjan. De mystérieux assaillants ont attaqué la prison, des installations militaires et la gendarmerie.
Trois jours plus tôt, un poste de l’armée ivoirienne étaitattaqué à Pekambly, près de la frontière libérienne. Le bilan dépasse les 50 morts depuis début juin. Un peu lourd pour un pays en paix, censé panser ses plaies, seize mois après la fin d’une crise postélectorale qui a fait au moins 3.000 morts.
Les armes parlent de nouveau
Le regain de violences a commencé le 8 juin 2012 dans le Sud-Ouest, à la frontière du Liberia. Un assaut mené au sud de la ville de Taï a fait au moins 17 morts, parmi lesquels sept Casques bleus nigériens. L’offensive la plus meurtière contre l’Opération des Nations unies en Côte d’Ivoire (Onuci) depuis son déploiement en 2004.
Le 11 juin 2012, cinq civils ont été tués à Sieblo-Oula et Tiele-Oula, deux villages ivoiriens proches du Libéria. Le lendemain, le 12 juin, une tentative de coup d’Etat était imputée par le régime d’Alassane Ouattara à des partisans du camp de Laurent Gbagbo.
Des «responsables politiques et militaires» proches de l’ancien président déchu, selon l’actuel ministre de l’Intérieur Hamed Bakayoko, qui n’a pas donné de noms.
Le gouvernement du Libéria, lui, ne s’est pas gêné pour en donner: il a ouvertement accuséCharles Blé Goudé, ancien leader du syndicat étudiant Fédération des étudiants et scolaires de Côte d’Ivoire (Fesci) et du mouvement des Jeunes patriotes, transformés en milices pendant la crise post-électorale.
L’intéressé, visé par un mandat d’arrêt de la justice ivoirienne et vraisemblablement exilé auGhana –ou en Gambie, selon les sources– a aussitôt démenti.
«Cette campagne de diabolisation de ma personne à l’échelle internationale aux fins de justifier la traque contre mes proches et moi, puis motiver un mandat d’arrêt de l’Onu contre moi, est tout simplement de mauvais goût», pouvait-on lire dans sa «mise au point.»
Quitte à perpétuer la désinformation qui a marqué les derniers mois du régime Gbagbo, Blé Goudé a accusé des «bandes armées libériennes» de semer le désordre.
Les Pro-Gbagbo indexés
En fait, l’armée du Libéria a arrêté six ressortissants ivoiriens après l’attaque du 13 août 2012 contre le poste de Pekambly.
De son côté, Human Rights Watch (HRW) a publié le 6 juin un rapport sur le rôle de partisans de Laurent Gbagbo dans quatre attaques transfrontalières menées depuis le Libéria entre juillet 2011 et avril 2012, qui ont fait plus de 40 morts.
Des Ivoiriens fidèles à l’ancien président ont reconnu avoir mené ou planifié des raids depuis le Libéria, selon les témoignages recueillis par HRW.
Ces personnes ont «utilisé les bénéfices de l’exploitation des mines d’or artisanales le long de la frontière pour mobiliser et recruter des combattants, y compris des enfants, pour des attaques futures», affirme HRW.
La localisation des attaques ne doit rien au hasard.
Le 20 juillet, de nouvelles violences ont fait 11 morts dans le Sud-Ouest, d’abord chez des membres de l’ethnie malinké, considérés comme pro-Ouattara et parfois accusés de confisquer des exploitations agricoles, puis lors de représailles menées contre un camp de réfugiés de l’ethnie guéré, considérée comme pro-Gbagbo, près de Duékoué.
C’est dans cette petite ville de 72.000 habitants que s’est produit le 29 mars 2011 le massacre de 816 hommes et garçons de l’ethnie guéré, perpétré par les Forces républicaines de Côte d’Ivoire (FRCI). Une armée pro-Ouattara composée d’anciens soldats nordistes, d’ex-rebelles et de chasseurs traditionnels, les Dozos.
Abidjan n’échappe pas à la série noire
L’insécurité frappe aussi au cœur d’Abidjan, la capitale. Six hommes armés à bord d’un taxi ont ouvert le feu dans la nuit du 5 août sur le commissariat de Yopougon, faisant cinq morts.
Pas de hasard, là non plus: dans ce quartier réputé être un fief des pro-Gbagbo, des ressortissants ouest-africains ou portant des noms des ethnies du nord de la Côte d’Ivoire ont été persécutés, parfois tués de sang-froid à des barrages routiers établis par des miliciens, pendant les longs mois de la crise post-électorale.
Ratissé par les FRCI après la bataille d’Abidjan, Yopougon a ensuite été le théâtre d’exécutions sommaires menées contre des hommes issus des ethnies du sud.
Le Front populaire ivoirien (FPI) de l’ex-président dément tout recours à la violence, et préconise le retour de ses anciens responsables à Abidjan sans poursuites judiciaires.
La logique de revanche à l’œuvre
Des éléments du camp Gbagbo estiment-ils avoir une revanche à prendre? Le 6 août 2012, trente hommes ont pénétré dans le camp militaire d’Akouédo, tuant encore cinq soldats et s’emparant d’armes.
Là encore, les assaillants ont été présentés par les autorités comme des partisans de l’ex-président, qui attend son procès devant la Cour pénale internationale (CPI) à La Haye.
Dans un entretien accordé à RFI, mardi 7 août 2012, le ministre de l’Intérieur Hamed Bakayoko a de nouveau pointé du doigt:
«Ce sont des gens qui proviennent de la galaxie des miliciens pro-Gbagbo et des militaires ex-FDS (Forces de défense et de sécurité, nom de l’ancienne armée, ndlr) nostalgiques du régime Gbagbo. (…) Je pense aussi que tout a été ordonné par des ex-FDS pro-Gbagbo à partir du Ghana».
Les attaques seraient liées au calendrier des audiences du procès de Laurent Gbagbo…
La CPI s’est déclarée compétente, le 15 août, rejetant une requête déposée par les avocats de l’ancien président. Le procès va pouvoir commencer.
Quid des crimes commis par le camp Ouattara?
Seul problème: rien n’indique que des responsables de crimes de guerre appartenant au camp Ouattara rejoindront Laurent Gbagbo un jour à La Haye pour y être jugés.
A Abidjan, on se vilipende à qui mieux mieux. Théophile Kouamouo, journaliste proche du mouvement des Jeunes patriotes et patron du Nouveau Courrier, a publié en juin un pamphlet intitulé J’accuse Ouattara .
Une commission d’enquête nationale a rendu un rapport le 10 août sur les violences post-électorales, dénombrant 1.452 morts imputés au camp Gbagbo sur un total de 3.248 morts, et 727 au camp Ouattara.
Restent 1.069 morts non attribuées à un camp ou l’autre, en raison de problèmes d’identification des victimes.
Aussitôt, Toussaint Alain, ancien conseiller de Laurent Gbagbo, a dénoncé un rapport «subjectif», qui aurait omis le massacre de Duékoué.
Force est de constater qu’au lieu de la réconciliation promise, la mauvaise foi demeure, intacte, entre les deux grands camps politiques ivoiriens. Au sein de l’armée, les anciens ennemis d’hier se regardent en chien de faïence, se méfiant toujours les uns des autres.
Une justice à sens unique se garde d’inquiéter quiconque dans la sphère sécuritaire du camp Ouattara. Le président Alassane Ouattara cultive depuis longtemps un rapport ambigu à la violence.
Sera-t-il accusé demain d’avoir semé les graines d’une nouvelle guerre, en laissant faire la chasse aux sorcières ou en laissant impunis les criminels de guerre que comporte son appareil sécuritaire?
Personne ne le dit trop fort pour l’instant, mais les sombres perspectives en Côte d’Ivoire inquiètent bien plus, au Quai d’Orsay, que la situation pourtant très grave qui prévaut au Mali