Dans le communiqué du Conseil des ministres en date du mercredi 28 septembre 2022, il est mentionné que le Président Macky Sall a instruit le Ministre de la Justice « d’examiner, dans les meilleurs délais, les possibilités et le schéma adéquat d’amnistie pour des personnes ayant perdu leurs droits de vote ».
Cette information glissée dans le communiqué augure sans doute la commission d’une énième forfaiture contre notre Justice par le régime de Macky Sall. Le plus ridicule est que le projet d’amnistie annoncé vise des personnes – précisément Karim Wade et Khalifa Sall –dont leur traduction devant la justice relevait d’une demande sociale. Mais le doute est permis quant à l’intention qui était à la base de ces procès.
À son élection en 2012, Macky Sall avait trouvé un pays soif de Justice. Les Sénégalais lui avaient assez manifesté leur souhait d’une reddition des comptes effective et il pouvait compter dans cet élan sur le soutien nécessaire du peuple. Qui n’avait pas envie d’en savoir davantage lorsque l’on avait brandi en grandes pompes une liste d’une vingtaine de personnes qui auraient privé les Sénégalais de bonheur au profit des leurs ? Macky Sall a eu la belle occasion d’accomplir une mission historique très marquante, avec derrière lui tout un peuple qui avait tourné le regard vers le même objectif : la Justice. À la fin, non seulement il a échoué dans cette mission très facile de reddition des comptes, mais il a surtout commis l’irréparable au grand dam de notre pays.
D’abord, il a eu une attitude fâcheuse qui a fini par renforcer le sentiment d’impunité au Sénégal. L’essentiel des personnes qui figurait dans la fameuse « liste noire » ont été invitées à choisir entre aller en prison ou rejoindre le camp présidentiel. Inutile de rappeler l’option quasi-unanime qui fut la leur.
Ensuite, le Sénégal avait engagé beaucoup de moyens dans ce projet de reddition des comptes sans que les fruits attendus ne soient au rendez-vous. Il arrivera un moment où Macky Sall et ses sbires devront rendre compte de l’utilisation qu’ils ont fait des importants moyens qu’ils s’étaient octroyés dans cette farce. La reddition des comptes relative à cette fallacieuse campagne de reddition des comptes est plus qu’une nécessité.
Enfin, dans son projet funeste de se débarrasser d’adversaires politiques, Macky Sall a exposé à la face du monde une version honteuse de notre Justice sortie de sa cuisse. Le Sénégal qui était cité comme un modèle de gouvernance modérée par l’élégance de ses dirigeants était devenu la risée du monde. Tout le monde avait alerté en vain : nos chefs religieux, les partenaires du Sénégal, les organismes de défense des droits de l’homme, la justice internationale. Dans l’affaire Karim Wade, le Comité des droits de l’homme de l’ONU indiquait en 2018 que le droit à un procès équitable du concerné avait été violé. La même année, la Cour de Justice de la CEDEAO, dans le dossier de Khalifa Sall, condamnait l’État du Sénégal qui avait commis l’absurdité de mettre en détention un député élu, alors même que son immunité parlementaire n’avait pas été levée. Malgré ces récurrents rappels à l’ordre venant d’entités distinctes, Macky Sall s’était obstiné à commettre ses forfaits en dégradant sciemment l’image du Sénégal.
Avec tous ces dégâts protéiformes, le même Macky Sall – tel quelqu’un qui ravale sa vomissure – préconise l’amnistie pour Karim Wade et Khalifa Sall qu’il avait fait juger et condamner dans des conditions plus que douteuses. Il reconnaît ainsi, dans une certaine mesure, avoir diligenté (oui avec sa Justice politique) des procès scandaleux pour neutraliser des acteurs politiques constituant une menace pour sa survie politique. Le plus agaçant est qu’il ne pense pas à l’amnistie par repentance ; en réalité, il n’est pas capable d’une telle élégance. Au contraire, son projet d’amnistie s’inscrit encore dans ses abominables calculs politiques en vue de se maintenir au pouvoir. Ne pouvant pas compter une seule fois sur les fruits de son action pour remporter une élection, Macky Sall a décidé, comme d’habitude, de manipuler encore la Justice au profit de sa soif insatiable de pouvoir.
Autant que le jugement dans les conditions connues des personnes visées, l’amnistie serait une mesure calamiteuse. L’amnistie fait partie des mécanismes constitutionnels que l’on doit manipuler « d’une main tremblante » pour parler comme Montesquieu. Elle absout la peine, donc la justice rendue. À cela s’ajoute le risque que Macky Sall veuille passer l’éponge sur les nombreux crimes économiques et financiers perpétrés par son régime. Dans tous les cas, l’amnistie sera une mauvaise solution pour un faux problème.
Sans préjuger des faits qui leur ont été reprochés, Karim Wade et Khalifa Sall auraient été jugés et condamnés dans des conditions méconnaissant gravement leurs droits. Pour cette raison au moins, ils doivent retrouver leur droit de vote et d’éligibilité. Macky Sall sait que l’amnistie est une voie absolument inadaptée pour arriver à cette fin. En plus d’être symboliquement néfaste, l’amnistie n’est pas du tout nécessaire en l’espèce. Étant donné qu’il avait fait modifier le Code électoral pour empêcher les deux d’être candidats lors de l’élection présidentielle de 2019, le parallélisme des formes voudrait qu’il emprunte la même voie.
Au-delà de l’affaire qui fait l’actualité, la réforme du Code électoral est attendue en vue de supprimer la disposition (article L. 57) qui empêche d’être candidat à une élection alors qu’aucune juridiction n’a prononcé une peine complémentaire dans ce sens. Aujourd’hui, une telle formule est scandaleuse dans une démocratie. Une décision aussi grave que l’interdiction de participer à une élection doit, si elle est reliée à une décision de justice, relever de la seule compétence du juge qui se trouve dans une position de neutralité suffisante. Macky Sall en était clairement conscient en modifiant le Code électoral pour écarter des candidats potentiels. Alors que la Constitution lui accorde le statut de gardien des institutions, il s’en est montré indigne en occupant la station misérable de fossoyeur des institutions.
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