Les réseaux de proxénétisme nigérians sont en pleine expansion en France. Ce constat a fait l’objet d’une note rédigée par la direction centrale de la police judiciaire (DCPJ), datée du 19 juin dernier, que nous nous sommes procurés et qui synthétise notamment les auditions de 189 prostituées et de 90 proxénètes interpellés depuis 2006. Sur la seule année 2011, neuf réseaux internationaux de proxénètes nigérians ont été démantelés en France, dans des grandes villes mais aussi dans des agglomérations plus modestes comme Béziers (Hérault) ou Caen (Calvados).
D’après la note de la PJ, 20% des prostituées interpellées pour racolage l’an dernier étaient de nationalité nigériane. Une tendance qui ne surprend évidemment pas Yann Sourisseau, chef de l’Office central de répression de la traite des êtres humains à la DCPJ : « Dans les années 1980, 70% des prostituées exerçant sur notre territoire étaient de nationalité française. Elles ne sont plus que 20% aujourd’hui. Cela est dû à la mainmise des groupes criminels étrangers sur la prostitution ». Un développement favorisé par l’abandon progressif du milieu français pour ce secteur criminel. Les réseaux nigérians sont une manifestation concrète de ces organisations qui ont fait de la traite des femmes aux fins d’exploitation sexuelle une spécialité. Un secteur très lucratif puisque, d’après la note de la DCPJ, le seul proxénétisme nigérian dégage chaque année 15 M€ de bénéfices en France. Du recrutement des filles au Nigeria à leur « revente » aux « mamas » chargées de les encadrer en France en passant par la cérémonie du « juju » (lire encadré), le mode opératoire est parfaitement huilé.
« Ces jeunes femmes se retrouvent sans attaches familiales dans un pays dont elles ne maîtrisent pas la langue et en situation de grande faiblesse, puisqu’elles doivent rembourser une dette élevée à leurs proxénètes », poursuit Yann Sourisseau. Fin 2011, ses services, épaulés par la DIPJ de Bordeaux (Gironde), ont démantelé une filière emblématique qui rayonnait dans le Sud-Ouest. Une quinzaine de suspects ont été arrêtés, dont des « mamas », ces femmes qui rachètent environ 10000 € les filles en provenance du Nigeria, et trois « banquiers » installés en Espagne. Ces hommes venaient collecter les revenus des passes tous les quinze jours environ. Sur l’un d’eux, interpellé en pleine tournée, les policiers ont ainsi saisi 60000 €.
Preuve de l‘organisation de ces réseaux, les victimes récalcitrantes peuvent subir des « violences physiques ou des privations de nourriture », comme l’explique la note de la DCPJ, tandis que « leur famille au Nigeria peut être menacée par les réseaux d’immigration clandestine à l’origine du trafic. »
Si Yann Sourisseau rappelle que les « peines de prison très élevées et les saisies sur le patrimoine des proxénètes » restent les meilleurs armes, il reconnaît également que les « déséquilibres économiques mondiaux et la réalité d’une clientèle française » favorisent le phénomène.
Le Parisien