Quand la bourse commande le cœur


La journée internationale des veuves a été célébrée presque dans l'indifférence, à Kolda. Pourtant, la majorité est plongée dans la grisaille de la vie quotidienne qui se caractérise par une précarité innommable. Mais les plus "nanties" d'entre elles, font face à des prédateurs d'une autre espèce. Ces chasseurs de veuves sont à la recherche d'une épouse dont le défunt mari a laissé un "capital" consistant pouvant épargner l'élu de certaines dépenses. Désormais, ici, la bourse commande le cœur, même si certains discours tentent de faire croire le contraire. Immersion dans l'univers des veuves, avec une tradition en perte de vitesse.
Elles sont de plus en plus nombreuses au Fouladou, les veuves. Elles sont organisées depuis plusieurs années, mais la structure est toujours oubliée. L'association des veuves de Kolda végète dans le dénouement et l'indifférence. Elle regroupe plus de 720 membres dans la commune et le département, depuis sa date de création en 1986.

La structure est dirigée par Hadja Ousseynatou Diallo. Elle entend venir en aide à ses membres en menant des activités génératrices de revenues. Mais l'association ne vit que des cotisations de ses membres, aucune structure ne vient en aide aux veuves de Kolda. Selon la présidente, le ministre de la femme avait demandé que l'association puisse monter des antennes à Vélingara et à Médina Yéro Foulah. Mais depuis, c'est le silence.

La présidente n'était même pas au courant, ce vendredi matin (23 juin dernier), que cette journée leur était dédiée. "Nous ne sommes pas au courant. Il ne pense même pas à nous.", se lamente Adja Diallo. Ici les veuves n'ont pas, pour l'essentiel, de pension et chaque jour de nouveaux membres sont enregistrés. Cela après une période de veuvage fixée à 4 mois 10 jours : "une période qui peut varier, selon les croyances et ethnies."

Une recommandation de l'islam destinée à évacuer l'émotion, atténuer la douleur par l'accompagnement social, mais aussi, vérifier qu'elle ne porte pas une grossesse du défunt. C'est une étape d'abstinence, d'intense prière avec un encadrement de femmes plus âgées pour veiller sur les veuves, en assurant certains services domestiques, notamment le bain, le linge de la veuve.

Cette étape est marquée par l'habillement très simple de la veuve qui se débarrasse de maquillage et autres attirails pouvant attirer le regard de mâles. Un moment de réflexion sur son avenir aussi qui voit la ronde des amis, parents et autres proches. Parmi les visiteurs, les prétendants venus observer, tâter le pouls, en faisant semblant de compatir à la douleur de la famille, mais surtout voir comment et sur qui s'appuyer pour réussir à séduire la veuve.

Le poids de la stigmatisation
Ces veuves vivent leur calvaire dans l'indifférence surtout pour les plus jeunes. Sans pension et autres sources de revenues. Elles sont parfois stigmatisées, car perdre très tôt son époux est considéré comme "ay gaff" (avoir la poisse). Ces veuves sont alors indexées par la société comme des "dévoreuses" de maris et gare à ceux qui rôdent autour ; ils sont très vite avertis par cette interrogation : Voulez-vous mourir ? Elles sont souvent accusées d'avoir quelque chose à voir avec la mort de leur conjoint.

Orphelins abandonnés à leur sort
À côté des veuves, il y a les orphelins. Rares sont les programmes spécifiques pour cette couche. Beaucoup d'enfants sont désorientés par la perte des parents. Ils sont victimes de précarité et la seule équation est de trouver à manger. Des responsables de l'association des personnes vivant avec le vih Ballondiral de Kolda, nous ont permis de pénétrer leur univers. Cette structure recense plus de 123 orphelins, rien que pour le département de Kolda. Des enfants qui, pour l'essentiel, ont perdu leurs deux parents et sont sous la responsabilité de grands-parents sans ressources.

Les programmes d'appui sont devenus rares et même les services sociaux ne s'en préoccupent pas. La présidente de l'association explique : "à la veille des fêtes, les enfants nous arrivent souvent dans une situation délicate. Car nous avions cheminé avec leurs défunts parents ; nous sommes présentés comme leurs proches et il faut faire quelque chose". Les programmes de soutien du fonds mondial contre le sida ne prend en charge que les enfants infectés, tandis que ceux affectés sont oubliés. À Kolda, les organisations travaillant pour la protection des enfants, oublient royalement cette cible.
      
Les chasseurs de veuves 
Après le choc de la disparition, avec la fin de la période légale de veuvage, madame redevient un cœur à prendre, les frères du défunt qui ont assuré l'intérim pendant la période, sont les premiers prétendants pour officiellement l'empêcher de quitter le cercle familial, histoire d'aider à l'éducation des enfants. Les arguments sont nombreux et jadis le remplacement du défunt était assuré automatiquement par une officialisation de l'union. C'est la pratique du lévirat, très ancienne au Fouladou. La femme prend d'abord un petit temps de repos avant de commencer à s'occuper d'elle. Ce temps est propice pour se refaire sur le plan physique, matériel pour mieux affronter les prétendants ou faire la ronde.

Témoignage de Khady, veuve depuis 4 ans : "c'est normal de se reposer, de s'occuper de son corps, mais aussi de mesurer ses nouvelles charges". Ne pas arrêter de vivre à cause de l'autre, accepter la volonté divine, explique-t-elle. A cet instant commence la gestion de la famille : l'intendance, l'immixtion des amis et autres conseillers avec chacun ses vérités. Les premiers pas du retour au célibat couronné par quelques souvenirs ou caprices de jeunes filles.

Une stratégie imparable
Les chasseurs sont souvent des personnes présentables qui mènent des enquêtes sur la veuve, le passé du couple, les biens hérités, les qualités du défunt mari, bref, toutes une documentation pour mettre la chance de son côté, et l'appui les copines est fondamental. Ici la bourse commande le cœur. Le reste devient une affaire de technique bien étudiée avec la phase d'attaque, avec l'envoi des messages par le canal d'intermédiaires proches de la veuve ; puis le face-à-face avec un argumentaire bien travaillé, après la collecte d'informations sur la veuve. Il faut toute une stratégie pour combler le vide laissé par le défunt mari, aider les enfants pour leur éducation, etc, autant d'actes qui pèseront sur la balance.

Ahmed est un d'eux, en 2007, il a célébré sa seconde noce avec une veuve dont le défunt mari était un homme d'affaires qui a perdu la vie à la suite d'un accident de circulation. Il réfute le mariage d'intérêt : "non, c'est un hasard. Je l'aimais. Si elle n'avait pas de maison, elle aurait habité chez moi. Je ne crois pas au mariage arrangée". Pourtant, Ahmed, jadis un débrouillard dans l'informel, a changé de mine ; il a presque abandonné sa première épouse, qu'il ne voit qu'occasionnellement. Chez la veuve, Ahmed n'a aucune contrainte de dépenses, au contraire. Lui se défend :

"Je suis un musulman, donc je suis pour la polygamie, ce qui implique le respect de certaines valeurs. Il n'est pas interdit d'épouser une veuve et si elle peut vous entretenir, c'est encore une chance. Les problèmes avec ma première femme n'ont rien à voir avec ce nouveau mariage. Comme je ne peux pas être respecté par ma première épouse, j'ai pris l'option de rester ici, chez ma seconde. Ce n'est pas un divorce, mais une séparation de corps.", confesse-t-il devant sa veuve et deuxième épouse intriguée par cette immixtion dans leur vie de couple. Avant de s'inviter au débat : "Vous avez vraiment d'autres choses à faire que de s'occuper de nos couples", me lance-t-elle à la figure, avant de poser cette question : "quel homme peut refuser d'épouser une belle femme qui à les moyens de vous assurer une vie décente et sans histoire ?" "Allez, répondez !", fait-elle remarquer.

Certes, il est difficile en cette période de renchérissement des prix des différentes denrées de résister aux veuves "couronnées" d'or. La seule chose qu'on attend du mari, est de remplir son devoir conjugal.

Galère des veuves sans "capital"
La chasse aux veuves ne concerne souvent que celles qui ont la chance d'hériter de biens matériels, une villa d'abord et de préférence avec moins d'enfants. C'est la cible idéale. Pour les veuves sans "capital" laissé par le défunt mari, ni pension, il faut vraiment bénéficier d'un appui de la nature pour retrouver un mari. Pour les vieilles veuves sans ressources, la vie devient un calvaire. Il faut recourir à l'imam du quartier, lui signifier sa volonté de trouver un homme pour mieux pratiquer sa foi. Nombreuses sont les femmes qui croient que le mariage est indispensable pour une bonne pratique de l'Islam. Pour certains religieux cependant, une veuve peut rester sans mari si elle peut s'abstenir de rapport sexuel.

"Sina foutou" ou le mari "d'occasion"
Au Fouladou, le "Sina Foutou" reste une pratique bien connue, "se nouer la corde", trouver un homme qui accepte de jouer un rôle de mari, sans réellement être astreint à remplir certaines obligations d'entretien de la conjointe ou de "partager le lit". C'est le lot des vieilles veuves qui y ont recours pour aller à la Mecque ou passer la période du mois de ramadan. Il arrive que ce soit les enfants de la veuve qui trouvent un remplaçant à leur défunt papa.

Pièges du "repos du guerrier"
La chasse aux veuves devient de plus en plus risquée, pour cause la veuve peut être à l'origine de la mort du défunt avec l'apparition des maladies comme le SIDA, comme l'explique un médecin : "les fausses croyances font que le Sida ne soit une maladie de jeunes ou des vagabonds sexuels. Malheureusement, le sida reste une maladie qui se retrouve dans toutes les couches de notre société, chez les marabouts, chauffeurs, journalistes ou autres. Pour épouser une femme, il est plus sûr de faire des tests avant de consommer tout mariage, surtout pour ceux qui veulent épouser des veuves".

Lévirat et sororat, en perte de vitesse
Autre phénomène qui a perdu du terrain de nos jours, le sororat, pratique qui consiste à faire remplacer sa sœur défunte sur son lit conjugal. Reprendre la vie avec le mari d'une sœur décédée très tôt. Des phénomènes souvent justifiés par l'islam, aujourd'hui certains marabouts réfutent ces arguments, l'Islam ne recommande point le lévirat ou le sororat. Il ne l'interdit pas non plus, car c'est une façon de gérer au mieux les héritiers de la personne qui décède, indique un islamologue.



Lundi 3 Juillet 2017 08:38

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