Populaire, expérimenté, autoritaire : voilà les traits de personnalité qui ressortent du nouvel homme fort du Mali. Photo : ISSOUF SANOGO / AFP
Les Maliens ont choisi hier une personnalité forte et autoritaire pour la présidence de leur pays : Ibrahim Boubacar Keïta (surnommé par ses compatriotes "IBK"), 68 ans, vieux routier de la vie politique malienne. En effet, les estimations portant sur 2/3 des bulletins dépouillés lui donnent une large avance, sans que les résultats exacts de l'élection soient encore communicables. Le nouveau président devra maintenant redresser un pays profondément meurtri par la pauvreté, la dépendance aux aides extérieures, ainsi que par dix-huit mois de crise politico-militaire (territoire coupé en deux par la guerre civile, développement du fondamentalisme, Coup d'Etat, intervention française, etc).
IBK est parti de ce constat d'un pays meurtri et divisé pour lancer le thème fort de sa campagne présidentielle : la "réconciliation" nationale. Il a ainsi été le premier des candidats à se rendre à Kidal, chef-lieu de région du Nord Touareg auparavant insurgé contre le pouvoir central."Je ramènerai la paix et la sécurité. Je renouerai le dialogue entre tous les fils de notre Nation", martelait-t-il lors de la campagne. Un message fort de rassemblement de tout les Maliens, malgré la récente guerre civile, qui a visiblement fonctionné. C'est l'avis de Louis Michel, chef de la mission d'observation de l'Union européenne (UE) à Bamako, qui a déclaré lundi sur La Libre Belgique qu'il s'agissait d'un scrutin "paisible", qui s'est déroulé "dans d'excellentes conditions" sur l'ensemble du territoire.
Un homme "rassembleur"
Ibrahim Boubacar Keïta a pu d'autant plus facilement jouer de cette image de "rassembleur", qu'il est resté discret lors du coup d'Etat du 22 mars 2012 qui a renversé le président Toumani Touré, contrairement son rival au second tour à Soumaïla Cissé, qui lui avait fermement condamné le putsch. Le fait de ne pas avoir pris parti a pu jouer en sa faveur dans le Nord du pays, anti putschiste, sans lui aligner le Sud dont il est lui-même originaire. IBK a également utilisé le facteur religieux dans sa campagne électorale de "rassemblement" : commençant se meetings en récitant des versets du Coran, il aurait, selon ses détracteurs, bénéficié de consignes de vote en sa faveur par des organisations islamiques. Ce qui n'est pas rien dans ce pays à 90% musulman.
Né le 29 janvier 1945 à Koutiala (Sud), IBK a fait des études de Lettres au Mali, au Sénégal et en France, où il a également travaillé sur des questions liées aux pays en développement. Ses rivaux rappellent qu'il a mené la "belle vie" dans ce passé étudiant. L'intéressé a répondu malicieusement : "quand on veut le bonheur des Maliens, il faut soi-même être imprégné du bonheur et croquer la vie à pleines dents".
IBK est aussi réputé pour être un homme à poigne, ainsi qu'un apparatchik. Au début des années 1980, il est notamment conseiller du Fonds européen de développement (FED), où il acquiert un réputation de gros travailleur et de manager efficace. Ayant milité dans des organisations qui contestaient le pouvoir du général putschiste Moussa Traoré (renversé en mars 1991 après de 23 ans à la tête du Mali), il se rapproche ensuite de son successeur Alpha Oumar Konaré, qui lui confie plusieurs postes à responsabilités, notamment ceux de ministre des Affaires étrangères (1993-1994), puis Premier ministre (1994-2000). IBK aura alors à gérer une crise scolaire et des grèves qui paralysent le Mali, et qu'il fera durement réprimer. Fidèle zélé du président Konaré, dont il combat les opposants, il échoue cependant à lui succéder lors de la présidentielle de 2002. Il crée alors son propre parti : le Rassemblement pour le Mali (RPM), devenant le principal rival d'Amadou Toumani Touré, l'ancien militaire qui a dirigé le Mali jusqu'au Coup d'Etat de mars 2012.
THÉO LABI