Dimanche, à Bamako, la classe politique essaye d'avaler la nouvelle. La junte du CNRDRE (Conseil national pour le redressement de la démocratie et la restauration de l'Etat) est-elle en train de rendre le pouvoir aux civils ? Il est tentant de le penser puisque le capitaine Sanogo, son chef, a annoncé le matin même au camp de Kati, sa mini-capitale à quinze kilomètres de Bamako, le retour à "l'ordre constitutionnel".
Ce qui implique que le chef renversé de l'Etat, Amadou Toumani Touré, serait réinstallé, démissionnerait dans la foulée (il a dit plusieurs fois souhaiter sortir du jeu), laissant le président de l'Assemblée nationale, dans ce cas, assurer l'intérim du pouvoir. Alors que serait constitué un organe chargé de mener le pays vers des élections auxquelles la junte ne participerait pas.
Chaque étape de ce processus est soumis à discussion. D'abord, le capitaine Sanogo n'a pas dit qu'il abandonnait le pouvoir. Au contraire, dans une interview à l'Agence France-Presse accordée quelques heures plus tard, il précise que le CNRDRE est toujours aux commandes et "n'est pas dissous". Plus tard dans la journée, il dira aussi qu'il compte bien voir des noms de militaires sur la liste du futur gouvernement chargé de préparer des élections, à une date indéterminée. En résumé, il joue sur les mots, mais conserve le pouvoir jusqu'à nouvel ordre.
Lundi, en marge de la prestation de serment, au Sénégal, de Macky Sall, le président élu, un nouveau sommet de la Cédéao va examiner la situation pour déterminer la marche à suivre. L'organisation des pays de la région ouest-africaine menaçait le Mali de sanctions sévères si la junte restait au pouvoir. Il y a tout lieu de penser que les chefs d'Etat ne se laisseront pas abuser par les joutes verbales d'Amadou Sanogo.
A Bamako, Djibril Bassolé, ministre des affaires étrangères du Burkina Faso – et homme de confiance du président Blaise Compaoré –, nommé médiateur pour la crise malienne, est à l'oeuvre pour faire avancer les négociations en vue d'un abandon du pouvoir par la junte.
Il a, sur la table, des propositions pour rendre effectif le "retour à l'ordre constitutionnel".
D'abord, si la personne du président de l'Assemblée nationale, Dioncounda Traoré (en exil pour l'instant) s'avère un problème insurmontable, d'autres solutions sont à l'étude. De plus, une formule d'amnistie est prévue pour garantir qu'aucune poursuite ne soit engagée contre les participants au putsch s'ils devaient remettre le pouvoir aux civils.
Ces civils, justement. Au sein de la classe politique malienne règne la plus grande effervescence. Le temps est à la redistribution des cartes. A de rares exceptions près (Oumar Maricko), les responsables politiques de poids ont dénoncé le coup d'Etat. Ce qui n'a pas empêché certaines passerelles de s'établir, tandis que des conseils se donnaient dans la discrétion. Après tout, il était tentant de considérer que les "jeunes gens" qui ont pris le pouvoir en profitant d'une occasion en or étaient trop inexpérimentés pour l'exercer, ou tout simplement pour le conserver.
Ceci n'a pas empêché l'écrasante majorité des partis politiques maliens (ils pullulent) de se réunir dans un Front du refus (FDR) antiputsch, avec l'appui de dizaines et de dizaines d'organisations de la société civile.
Dimanche, le FDR était en réunion pour décider aussi de la marche à suivre. Dans les locaux d'une association de femmes, l'APDF (Association pour le progrès et la défense des droits des femmes), des responsables du mouvement essayent de se mettre d'accord sur un communiqué en réponse à l'annonce du capitaine Sanogo, le matin même.
C'est un moment crucial. Les débats sont difficiles. Il y a là un responsable d'ONG qui redoute que le Sahara soit utilisé pour enterrer des déchets nucléaires, et on a toutes les peines du monde à lui faire comprendre que ce n'est peut-être pas le moment de se pencher sur cette question. Hama Cissé parcourt l'assemblée en vrillant son index dans les épaules pour faire valoir son point de vue musclé : devant l'avancée des rebelles touaregs, il appelle à réorganiser les milices Ganda Koy (qui recrutent parmi les Songhaïs, l'un des groupes les plus importants du Nord-Mali) et à faire couler le sang.
Les autres responsables politiques sont accaparés par une lutte plus verbale : faut-il voir la déclaration du capitaine Sanogo comme l'amorce d'un mouvement irréversible vers le retour à la normalité, ou un simple jeu de passe-passe ?
Tiébilé Dramé (président du Parena), une des figures les plus marquantes du monde politique malien, penche pour cette seconde hypothèse. Dans un débat animé, il met en garde ses pairs : "Ils [la junte] viennent juste de vous jeter un os. C'est un acte dilatoire, rien de plus. Ils veulent diriger la transition !"
Les autres participants préfèrent croire en la bonne foi du capitaine, et s'accrochent à sa promesse de revenir à "l'ordre constitutionnel" comme à une formule magique qui aurait la grâce de faire revenir les civils aux commandes de l'Etat. "Le capitaine n'a pas de rôle constitutionnel, affirme Kassoum Tapo, porte-parole du FDR, s'il veut entrer dans l'histoire, il faut qu'il aille jusqu'au bout."
Il y a peu de chances que la Cédéao accepte les atermoiements de la junte, et écoute sans réagir les déclarations du capitaine Sanogo, qui rappelle que le CNRDRE "n'est pas dissous" (toujours dans cette même interview, excellente, accordée à l'AFP). Est-il besoin de débats pour comprendre que l'heure est gravissime ?
Pendant tout le week-end, tout est allé très vite. les rebelles ont pris le contrôle de tout le nord du Mali. Les premiers effets des pressions de la Cédéao se sont fait sentir à Bamako. A présent, chacun va devoir consolider ses positions. Sauf que le temps presse. L'armée vient de vivre une débâcle, les différentes composantes de la rébellion ont devant elles un boulevard si elles poursuivent leur avance vers des villes voisines du Nord.
A Bamako, les acteurs du drame malien en ont-ils bien conscience ?
Le Monde
Ce qui implique que le chef renversé de l'Etat, Amadou Toumani Touré, serait réinstallé, démissionnerait dans la foulée (il a dit plusieurs fois souhaiter sortir du jeu), laissant le président de l'Assemblée nationale, dans ce cas, assurer l'intérim du pouvoir. Alors que serait constitué un organe chargé de mener le pays vers des élections auxquelles la junte ne participerait pas.
Chaque étape de ce processus est soumis à discussion. D'abord, le capitaine Sanogo n'a pas dit qu'il abandonnait le pouvoir. Au contraire, dans une interview à l'Agence France-Presse accordée quelques heures plus tard, il précise que le CNRDRE est toujours aux commandes et "n'est pas dissous". Plus tard dans la journée, il dira aussi qu'il compte bien voir des noms de militaires sur la liste du futur gouvernement chargé de préparer des élections, à une date indéterminée. En résumé, il joue sur les mots, mais conserve le pouvoir jusqu'à nouvel ordre.
Lundi, en marge de la prestation de serment, au Sénégal, de Macky Sall, le président élu, un nouveau sommet de la Cédéao va examiner la situation pour déterminer la marche à suivre. L'organisation des pays de la région ouest-africaine menaçait le Mali de sanctions sévères si la junte restait au pouvoir. Il y a tout lieu de penser que les chefs d'Etat ne se laisseront pas abuser par les joutes verbales d'Amadou Sanogo.
A Bamako, Djibril Bassolé, ministre des affaires étrangères du Burkina Faso – et homme de confiance du président Blaise Compaoré –, nommé médiateur pour la crise malienne, est à l'oeuvre pour faire avancer les négociations en vue d'un abandon du pouvoir par la junte.
Il a, sur la table, des propositions pour rendre effectif le "retour à l'ordre constitutionnel".
D'abord, si la personne du président de l'Assemblée nationale, Dioncounda Traoré (en exil pour l'instant) s'avère un problème insurmontable, d'autres solutions sont à l'étude. De plus, une formule d'amnistie est prévue pour garantir qu'aucune poursuite ne soit engagée contre les participants au putsch s'ils devaient remettre le pouvoir aux civils.
Ces civils, justement. Au sein de la classe politique malienne règne la plus grande effervescence. Le temps est à la redistribution des cartes. A de rares exceptions près (Oumar Maricko), les responsables politiques de poids ont dénoncé le coup d'Etat. Ce qui n'a pas empêché certaines passerelles de s'établir, tandis que des conseils se donnaient dans la discrétion. Après tout, il était tentant de considérer que les "jeunes gens" qui ont pris le pouvoir en profitant d'une occasion en or étaient trop inexpérimentés pour l'exercer, ou tout simplement pour le conserver.
Ceci n'a pas empêché l'écrasante majorité des partis politiques maliens (ils pullulent) de se réunir dans un Front du refus (FDR) antiputsch, avec l'appui de dizaines et de dizaines d'organisations de la société civile.
Dimanche, le FDR était en réunion pour décider aussi de la marche à suivre. Dans les locaux d'une association de femmes, l'APDF (Association pour le progrès et la défense des droits des femmes), des responsables du mouvement essayent de se mettre d'accord sur un communiqué en réponse à l'annonce du capitaine Sanogo, le matin même.
C'est un moment crucial. Les débats sont difficiles. Il y a là un responsable d'ONG qui redoute que le Sahara soit utilisé pour enterrer des déchets nucléaires, et on a toutes les peines du monde à lui faire comprendre que ce n'est peut-être pas le moment de se pencher sur cette question. Hama Cissé parcourt l'assemblée en vrillant son index dans les épaules pour faire valoir son point de vue musclé : devant l'avancée des rebelles touaregs, il appelle à réorganiser les milices Ganda Koy (qui recrutent parmi les Songhaïs, l'un des groupes les plus importants du Nord-Mali) et à faire couler le sang.
Les autres responsables politiques sont accaparés par une lutte plus verbale : faut-il voir la déclaration du capitaine Sanogo comme l'amorce d'un mouvement irréversible vers le retour à la normalité, ou un simple jeu de passe-passe ?
Tiébilé Dramé (président du Parena), une des figures les plus marquantes du monde politique malien, penche pour cette seconde hypothèse. Dans un débat animé, il met en garde ses pairs : "Ils [la junte] viennent juste de vous jeter un os. C'est un acte dilatoire, rien de plus. Ils veulent diriger la transition !"
Les autres participants préfèrent croire en la bonne foi du capitaine, et s'accrochent à sa promesse de revenir à "l'ordre constitutionnel" comme à une formule magique qui aurait la grâce de faire revenir les civils aux commandes de l'Etat. "Le capitaine n'a pas de rôle constitutionnel, affirme Kassoum Tapo, porte-parole du FDR, s'il veut entrer dans l'histoire, il faut qu'il aille jusqu'au bout."
Il y a peu de chances que la Cédéao accepte les atermoiements de la junte, et écoute sans réagir les déclarations du capitaine Sanogo, qui rappelle que le CNRDRE "n'est pas dissous" (toujours dans cette même interview, excellente, accordée à l'AFP). Est-il besoin de débats pour comprendre que l'heure est gravissime ?
Pendant tout le week-end, tout est allé très vite. les rebelles ont pris le contrôle de tout le nord du Mali. Les premiers effets des pressions de la Cédéao se sont fait sentir à Bamako. A présent, chacun va devoir consolider ses positions. Sauf que le temps presse. L'armée vient de vivre une débâcle, les différentes composantes de la rébellion ont devant elles un boulevard si elles poursuivent leur avance vers des villes voisines du Nord.
A Bamako, les acteurs du drame malien en ont-ils bien conscience ?
Le Monde