« Je tiens à souligner, avec solennité, que nos devoirs vis-à-vis du peuple sénégalais sont et demeurent sacrés. C’est la raison pour laquelle aucune idée de retraite n’effleure notre esprit, car tant que Dieu nous en donnera les moyens, nous honorerons l’obligation qui nous est faite de poursuivre le combat dans le champ du patriotisme et au service de notre pays…». Niasse dixit.
On a tous compris. Le secrétaire général de l’Alliance des forces de progrès, tête de file de la coalition Bennnoo Siggil Senegaal au premier tour de la présidentielle le 26 février dernier, n’a pas livré son dernier combat, contrairement à ce qu’il avait avancé. Et ce n’est pas la première fois. Déjà en 2007, il avait promis de ne plus se lancer à la conquête des suffrages de ses compatriotes en cas de défaite. Profitant de la contestation des résultats de la présidentielle de 2012, il était revenu sur sa parole. Sans crier gare. Niasse est coutumier des faits. Sa parole n’est pas toujours d’or.
« On peut classer les hommes politiques en deux catégories : ceux qui sont faits pour le gouvernement et ceux qui sont faits pour l’opposition. Il est rare que les mêmes excellent dans les deux emplois ». Appliqué à Moustapha Niasse, la formule de Jean-François Revel (« Le voleur dans la maison vide », Plon, 1997) est plus qu’instructive. Ministre à plusieurs reprises sous les magistères de Senghor et de Diouf et Premier ministre désigné de Wade au lendemain de l’alternance, le secrétaire général de l’Alliance des Forces de Progrès a brillé de mille feux au pouvoir. Mais dans l’opposition depuis le 3 mars 2001 à la suite de son limogeage du gouvernement par le président Wade, l’auteur de la « déclaration du 16 juin » bafouille, cherche ses marques et s’enferme dans les bourdes. S’il a prouvé ses grandes qualités d’homme d’Etat, habitué aux allées lambrissées du pouvoir, Niasse prouve de jour en jour qu’il n’a pas assez de bouteille pour s’imposer loin des centres de décision. On n’efface pas des dizaines d’années de présence dans le saint des saints simplement en changeant de rue.
L’ex-socialiste est sorti de son cheminement avec Wade à la tête de l’Etat sénégalais, plutôt sinueux, aigri. Ses premiers pas dans la nouvelle opposition sont pour le moins chaotiques. Armé d’un bruyant nihilisme, Niasse cherche vaille que vaille à effacer le douloureux souvenir de sa contribution à l’effort de guerre qui est venu à bout de l’ancien régime. Au point de déclarer urbi et orbi, lors de la campagne électorale des dernières législatives à Ziguinchor n’avoir jamais appelé à voter pour Wade mais plutôt pour le candidat de l’opposition le mieux placé au second tour. Un difficile exercice sémantique pour quelqu’un qui confie « off the record » s’être présenté en ticket avec l’actuel président. Mais on a compris que Niasse est devenu wado-incompatible après sa défénestration. Allant même jusqu’à confier à notre confrère « Le Nouvel Afrique Asie » : « Dès le 12 novembre dernier (2000, ndlr), j’avais pris l’initiative d’informer le président Wade que je serai amené à le quitter très bientôt, tout en lui précisant que je ne souhaitais pas en prendre l’initiative ». C’est compliqué la langue française. Mais on a compris qu’en cherchant ainsi à adoucir l’effet de sa mise à l’écart, Niasse vit mal cette troisième déchirure.
Dès cette période déjà, Niasse a commencé à se forger, malgré lui, une image contraire à celle qu’elle veut faire passer. Le leader de l’AFP cherche en effet à se présenter en homme politique vertueux, en défenseur de l’orthodoxie dans cet univers de la déprédation qu’est la politique, mais il passe pour un donneur de leçons, un procureur moralisateur. Un homme au discours changeant comme la peau du caméléon. Une image qu’il confortera malencontreusement à plusieurs occasions. Déjà, en déclarant n’avoir pas appelé à voter Wade, Niasse a perdu beaucoup de points dans l’estime de tous ceux qui l’ont vu fièrement poser à côté du candidat « le mieux placé » dans une affiche distribuée en milliers d’exemplaires durant l’entre-deux tours. Ensuite, le secrétaire général de l’AFP a fait sien l’axiome fondamental chez Mitterrand : « ne jamais reconnaître le moindre mérite à l’adversaire ».
Autre fait illustratif des difficultés de l’ex-Premier ministre à trouver ses marques dans le terrain de l’opposition apparemment plus difficile à apprivoiser, l’affaire des six milliards de la Sonacos. Après avoir accusé l’Etat d’avoir détourné six milliards de la Sonacos le 29 avril 2002 à Wack Ngouna, il a reculé sous la menace de la levée de son immunité parlementaire par une commission constituée à cet effet, passant d’affirmations à peine voilées à des interrogations. Résultat : nul se savait à qui se fier. A Niasse ou à Moustapha ? En politique, c’est connu, le but est l’essentiel et la personne accessoire. Ce que n’a pas compris Niasse qui a oublié qu’avant de gravir les marches du palais présidentiel, le président Wade a dû faire de nombreux allers-retours entre la prison et son domicile du Point E.
Il faudra, une fois de plus, composer avec l’auteur de l’appel du 16 juin. Il a promu la jeunesse dans son parti, avec la montée en puissance de Malick Gackou devenu numéro deux, mais Bennoo Bokk Yakaar dont il passe pour la caution morale lui prépare de nouveaux rôles. Si Macky gagne, il gouvernera avec lui. Si Wade passe, il s’agrippera à l’espoir d’une nouvelle élection dans trois ans. Il n’aura alors que 75 ans, c’est-à-dire un an de plus que la « Pape du Sopi » en 2000.