a toujours vécu en parfaite harmonie avec ses esclaves ou rois (c’est selon) sérères. Ses désirs expansionnistes et hégémoniques ont toujours épargné le Sine suivant en cela les directives de son guide spirituel El Hadj Omar Tall. Mais, dans la première partie de l’année 1867, aidé par Lat Dior, Maba Diakhou envahit le Sine. Et lors de la fameuse bataille de Somb, il perdit la vie. Enterré à Fandane, un mausolée est érigé à son intention. Bien que la restauration des lieux se heurte toujours à la non-réalisation des promesses.
Le 23 mars 2008, ce fut la pose de la première pierre pour la restauration du mausolée de Maba Diakhou Bâ. A cette occasion, le ministre de la Culture, du Patrimoine historique classé, des Langues nationales et de la Francophonie, Mame Birame Diouf qui avait à ses côtés Serigne Abdou Aziz Sy «Junior», avait annoncé que l’Etat allait dégager une enveloppe de 50 millions de francs pour les travaux. En plus de la restauration du mausolée, il était prévu la construction d’une mosquée et d’une bibliothèque pour faire de cet endroit un lieu de tourisme et de savoir. Quatre ans après, retour sur les lieux pour admirer le bijou que le ministre avait promis aux petits-fils de l’Almamy du Rip.
Il est 7 heures passées de quelques petites minutes en cette matinée du 12 septembre 2012. La pluie qui s’est abattue la nuit sur la cité de Mame Mindiss a laissé la place à un beau temps marqué par une brise matinale qui donne envie de prolonger son séjour dans les bras de Morphée. Le soleil qui vient à peine de se lever scintille de mille feux. Après avoir fait le plein de carburant à la station service du coin, notre moto Diakarta emprunte la route de Gossas. Sur cet axe où le trafic automobile est d’ordinaire très peu dense, circulent quelques charrettes transportant des habitants des villages environnants qui viennent faire le marché dans la capitale régionale, Fatick. Les flaques d’eau qui stagnent encore sur la chaussée indiquent une tombée récente de la pluie. Tout au long du bras de mer le Sine, on peut admirer les nombreux tas de sel qui attendent de potentiels acheteurs. A perte de vue s’étendent des champs d’arachide mais surtout de mil en phase de maturation, fruit d’un hivernage particulièrement pluvieux. Au milieu de cette verdure surplombent des arbres qui d’habitude perdent leurs feuilles pendant la saison des pluies. On les appelle communément kadd en wolof.
Au moment de notre passage dans la petite ville de Diakhao, l’ancienne capitale du royaume du Sine fondée à la fin du XIIIe siècle par Wassila Faye, la plupart des commerces sont encore fermés. La gare routière située en face de la Maison royale grouille déjà de monde en partance pour Dakar. A 5 km de là, le village de Thiaré Ndialgui. A la sortie de ce tout nouveau chef-lieu de communauté rurale, le voyageur est guidé par un panneau situé à gauche et qui pointe sa flèche vers le nord. Sur ce dernier, les écritures sont à peine lisibles mais, avec un peu d’effort intellectuel on parvient à lire la mention suivante : «Mausolée de l’Almamy Maba Diakhou Bâ.»
Suivant les indications, une piste sablonneuse se dégage malgré les tiges de mil qui, secouées par le vent, obstruent le passage à certains endroits. Sans compter les tiges d’épineux qui non seulement nous piquent aux jambes mais en plus s’accrochent aux habits. En ces lieux, la crainte de se perdre face aux multiplicités des pistes est réelle. Mais la volonté d’atteindre le but est plus forte.
Fandane, l’accueillante
Enfin, un hameau ! Il est 8h 13mn. Sur ce qui semble être une place publique, deux garçons âgés à peu près d’une dizaine d’années. L’un d’entre eux confirme que cette localité est bien Fandane, avant de pointer son index vers l’Est et d’indiquer que le gardien du mausolée de Maba Diakhou habite dans la dernière maison. A la porte de cette vaste concession, un vieux à califourchon sur un âne, s’apprêtait à partir en brousse pour chercher du fourrage pour ses animaux domestiques. Il nous indique la case du gardien du mausolée. Ayant entendu notre conversation, un jeune d’une trentaine d’années, à la silhouette svelte sort de sa chambre et vient à notre rencontre. Il s’appelle Mamadou Ndiaye, un fils du gardien.
Après les salamalecs d’usage et les explications quant à l’objectif de la visite en ces lieux, Ibrahima Ndiaye, le gardien du mausolée, nous reçoit. Là aussi, la compréhension est de mise et l’accueil chaleureux, une fois expliqué l’objet de la visite. «Continuez sur cette route, le mausolée se trouve non loin d’ici. Je vous y rejoins tout à l’heure. Mais, je crains que vous ne puissiez y accéder en moto parce que ces derniers temps, il y avait beaucoup d’eau sur le chemin», dira le vieux. Son fils se veut moins alarmiste : «C’est vrai que deux véhicules de touristes européens se sont embourbés là-bas il y a quelques jours seulement mais, l’eau s’est un peu retirée et vous pourrez passer.» A quelques dizaines de mètres à l’Est de cette maison, on peut apercevoir de loin le chantier du mausolée. Sur plusieurs centaines de mètres, un bois composé essentiellement d’arbustes appelés kinkeliba en wolof est traversé.
L’Almamy dans un bâtiment de 6m2
Enfin, le fameux mausolée ! Il est 8h 20mn. Au milieu des arbustes et des champs de mil, se dresse un bâtiment de 6m², en chantier depuis le 18 mai dernier. Un peu à droite se trouve un lieu de prière. Derrière, deux arbres et un tas de béton que des gens malintentionnés n’hésitent pas à venir voler. Seuls les cris des insectes et le gazouillement des oiseaux venus s’approvisionner dans les champs de mil aux alentours perturbent la quiétude des lieux.
A l’intérieur de cet édifice, se trouve la chambre mortuaire de l’Almamy du Rip que vient d’ouvrir le vieux Ibrahima Ndiaye accompagné de son fils Mamadou. Dans cette chambre, il y a la sépulture de Maba Diakhou recouverte de sable fin sur lequel est écrit à la main le nom du Prophète Mohamed (Psl). Une grosse pierre placée à droite indique la position de la tête du défunt. Tout autour, on sent l’humidité du sol, conséquence sans doute de l’eau de pluie qui s’y infiltre souvent à travers les nombreuses fissures des murs et du toit en ardoise. D’après le gardien, il arrive que cet endroit soit complètement inondé. A deux reprises au moins, il y a chassé des serpents dont un boa venu s’y réfugier.
A en croire Birane Bâ, petit-fils et représentant de la famille de Maba Diakhou à Diakhao, cet édifice en construction et qui a remplacé l’ancien mur de clôture du mausolée, a englouti à ce jour la somme de 1 million 23 000 francs Cfa provenant exclusivement des cotisations des petits-fils de l’Almamy. En raison de l’hivernage, les travaux sont momentanément à l’arrêt. Mais, M. Ba n’y est pas allé du dos de la cuillère pour déplorer les vieilles promesses non tenues de l’Etat. «Nous condamnons avec la dernière énergie l’attitude de l’Etat parce que nous pensons qu’il devrait y avoir une plus grande considération pour ce mausolée qui est aussi important que ceux qui se trouvent dans les autres localités du pays. L’Etat doit respecter la promesse que le ministre de la Culture, Mame Birame Diouf, avait faite en 2008. Il avait dit que l’Etat allait dégager 50 millions de francs pour la restauration du mausolée. Et à chaque fois que nous organisons la journée de prière annuelle à Fandane, les représentants de l’Etat réitèrent cette promesse sans que cela ne soit jamais suivi d’un acte concret», s’indigne-t-il. Toutefois, le frère aîné de l’actuel maire de Fatick, Mactar Ba, n’a pas manqué de saluer le geste du Conseil rural de Thiaré Ndialgui qui, après délibération, leur a octroyé 3 ha de terres. Cela permettra en plus de la restauration du mausolée, d’édifier une mosquée et un institut islamique sur ce site.
Le mausolée de l’Almamy du Rip est situé à 9 km à l’est de Diakhao dans un endroit appelé mbeel Fandane (marigot de Fandane en sérère), entre les villages de Thiouthioune-Mbalème à l’est, Fandane à l’ouest, Somb au sud et de Boof-Ndémène au nord. C’est ici que s’est écrite l’une des plus belles pages de l’histoire du royaume du Sine avec la fameuse «bataille de Fandane-Thiouthioune» plus connue sous le nom de «bataille de Somb».
Jusqu’à la fin de l’année 1866, une sorte de paix tacite semblait exister entre Maba Diakhou (1809-1867) et Coumba Ndoffène Famaak (senior). Ce dernier a été le 48e roi du Sine d’après la liste des rois établie par Niokhobaye Diouf. Il a régné de 1853 à 1871. Si l’Almamy s’était abstenu d’attaquer le Sine, c’est qu’il se conformait aux conseils de son guide spirituel El Hadj Omar Tall qui lui avait demandé de ne pas s’en prendre aux sérères du Sine qui, même n’étant pas des musulmans, ne constituaient nullement un danger pour la communauté musulmane. Mais, les choses allaient évoluer au cours des premiers mois de l’année 1967. Coumba Ndoffène avait pris conscience que le Sine était devenu la cible principale de Lat Dior et de Maba Diakhou. Les troupes de ces deux hommes conduites par le premier, envahirent le Sine au moment où Coumba Ndoffène s’attelait à renforcer la sécurité de son royaume. Nous sommes en juin 1867. Un auteur comme Niokhobaye Diouf, membre de la famille royale du Sine, désigne ce coup de main de Lat Dior sous l’appellation «surprise de Keur Ngor» tandis que le professeur Mbaye Guèye suivant une tradition qu’il a recueillie auprès du saltigué Waly Senghor de Tagdiam en 1979, soutient que Coumba Ndoffène était bel et bien à Diakhao le jour de cette attaque au cours de laquelle la capitale du Sine fut livrée aux flammes. A en croire toujours Mbaye Guèye : «Si les gens du Sine s’évertuèrent à accréditer la version de la présence de Coumba Ndoffène à Keur Ngor au moment de l’attaque, c’est qu’on voulait éviter de voir naître un courant défaitiste face à l’impérialisme deMaba.»
Après cet épisode, Coumba Ndoffène réunit son conseil de guerre pour délibérer sur la conduite à tenir. Au terme de cette rencontre, il fut retenu de déclarer la guerre à Maba Diakhou. Sémou Diouf, 2e personnage dans l’ordre de succession au trône se chargea de se rendre à Nioro pour notifier la déclaration de guerre du Sine au marabout du Rip. Ce dernier prit acte de cette déclaration de guerre et réunit à son tour son Etat-major, lequel le dissuada d’attaquer le Sine pendant l’hivernage parce que les saltigués sérères étaient réputés capables de faire tomber la pluie à n’importe quel moment de cette saison. Mais Maba, sentant son honneur bafoué, n’a pas cru devoir prendre en compte ces conseils de ses proches collaborateurs. Pendant ce temps, le roi du Sine était en train de réorganiser ses forces. Il convoqua à Diakhao tous les saltigués du Sine. Un d’entre eux, Laba Boof, promit de faire tomber la pluie pour mouiller la poudre de Maba le jour de la bataille. Une promesse qui sera respectée. Le 18 juillet 1867, à Mbeel Fandane, les armées coalisées de Maba Diakhou et de Lat Dior livrèrent bataille face à celle de Coumba Ndoffène. Vers le milieu de la journée, les guerriers de Lat Dior se désolidarisèrent d’avec ceux de Maba et quittèrent le champ de bataille. Après cette désertion des hommes de Lat Dior, Maba est pris en tenaille par les armées de Coumba Ndoffène. L’Almamy du Rip qui voulait islamiser le Sine perdit la vie au cours de cette bataille ainsi que plusieurs autres personnes des deux côtés.
N’ayant pas digéré cette défaite, les marabouts du Rip sous la conduite de Mamou Ndari, successeur de Maba, ont par la suite tenté de mener des offensives contre le Sine, en vain.
Flou sur les circonstances de la mort
A propos des circonstances dans les quelles l’Almamy du Rip est mort dans le Sine, il est intéressant de noter qu’il y a une grande controverse. Selon Niokhobaye Diouf à travers les nombreuses traditions recueillies dans le pays sérère, Maba Diakhou a été tué par les guerriers de Coumba Ndoffène. Et M. Diouf d’aller plus loin en laissant entendre : «Le corps de Maba fut coupé en morceaux. C’est Makhoukhédia que l’on enterra à cette place même que l’on considère à tort comme la tombe de Maba. Les morceaux du corps de Maba furent emmenés et enterrés à travers tout le Sine (…). La peau qui servait de tapis de prière au marabout et son Coran restèrent au Sine.» Naturellement, cette thèse de Niokhobaye est balayée d’un revers de la main par les descendants de Maba. Un d’entre eux, Birane Ba, représentant de la famille de l’Almamy à Diakhao et âgé aujourd’hui de 62 ans contre attaque : «Ce que dit Niokhobaye Diouf dans son ouvrage est contraire à la vérité. En 1965, je suis allé voir le dernier roi du Sine Mayécor Diouf (Ndlr : il a régné de 1924 à 1969). C’est lui en personne qui m’a dit que personne des Sine-Sine n’a vu le corps de Maba. Ce dernier n’a été aperçu que par un seul peulh qui lui a offert du lait à Khodjil dans le Diaoulé la veille de sa mort et c’est ce peulh-là qui est venu avertir le Bour Sine de la présence du marabout dans le territoire du Sine. C’est ensuite que le Sine s’est organisé et a rencontré Maba non pas à Somb mais entre Thiouthioune et Fandane dans un marigot nommé mbeel Fandane. Maba, se sentant vaincu, a ordonné à son lieutenant de le tuer et de l’enterrer avant que ces mécréants ne touchent à son corps et c’est ce qui a été fait. C’est après que Abdou Ba, un de ses lieutenants est monté sur le cheval Repe ndao de Maba, il a pris la peau de prière que Maba tenait ainsi que son livre de Coran. C’est ce Abdou Ba qui a été tué et que les autres confondent au marabout en disent qu’ils lui ont coupé son bras droit et sa tête pour l’enterrer à la place publique de Diakhao. Le roi Mayécor m’a dit que ce n’est pas vrai parce qu’avant que les guerriers du Sine n’encerclent la troupe de Maba, ce dernier était déjà mort et enterré. Après m’avoir dit ça, le roi m’a orienté vers Mbadatte chez un grand connaisseur sérère nommé Kossène o Migne… C’est Mayécor même qui m’a poussé à m’intéresser à l’histoire.»
Quoi qu’il en soit, ce qui est au moins certain 145 ans après ce douloureux évènement, c’est que la plaie semble s’être cicatrisée entre les familles de Maba Diakhou et de Coumba Ndoffène. La preuve, chaque année, les petits-fils de ces deux grandes figures de l’histoire de notre pays se donnent rendez-vous à Fandane pour une journée de prière au cours de laquelle des chants coraniques fusent de partout. Ce qui montre que la volonté de l’Almamy du Rip de faire du Sine une terre d’islam, s’est quelque part réalisée.
Pour ceux qui espéraient voir en ce mythique endroit un chef-d’œuvre architectural, la surprise est énorme. La déception aussi. Et difficile de comprendre quatre ans après la pose de la première pierre pour la restauration de ce mausolée, que la situation soit encore à ce stade.
Le 23 mars 2008, ce fut la pose de la première pierre pour la restauration du mausolée de Maba Diakhou Bâ. A cette occasion, le ministre de la Culture, du Patrimoine historique classé, des Langues nationales et de la Francophonie, Mame Birame Diouf qui avait à ses côtés Serigne Abdou Aziz Sy «Junior», avait annoncé que l’Etat allait dégager une enveloppe de 50 millions de francs pour les travaux. En plus de la restauration du mausolée, il était prévu la construction d’une mosquée et d’une bibliothèque pour faire de cet endroit un lieu de tourisme et de savoir. Quatre ans après, retour sur les lieux pour admirer le bijou que le ministre avait promis aux petits-fils de l’Almamy du Rip.
Il est 7 heures passées de quelques petites minutes en cette matinée du 12 septembre 2012. La pluie qui s’est abattue la nuit sur la cité de Mame Mindiss a laissé la place à un beau temps marqué par une brise matinale qui donne envie de prolonger son séjour dans les bras de Morphée. Le soleil qui vient à peine de se lever scintille de mille feux. Après avoir fait le plein de carburant à la station service du coin, notre moto Diakarta emprunte la route de Gossas. Sur cet axe où le trafic automobile est d’ordinaire très peu dense, circulent quelques charrettes transportant des habitants des villages environnants qui viennent faire le marché dans la capitale régionale, Fatick. Les flaques d’eau qui stagnent encore sur la chaussée indiquent une tombée récente de la pluie. Tout au long du bras de mer le Sine, on peut admirer les nombreux tas de sel qui attendent de potentiels acheteurs. A perte de vue s’étendent des champs d’arachide mais surtout de mil en phase de maturation, fruit d’un hivernage particulièrement pluvieux. Au milieu de cette verdure surplombent des arbres qui d’habitude perdent leurs feuilles pendant la saison des pluies. On les appelle communément kadd en wolof.
Au moment de notre passage dans la petite ville de Diakhao, l’ancienne capitale du royaume du Sine fondée à la fin du XIIIe siècle par Wassila Faye, la plupart des commerces sont encore fermés. La gare routière située en face de la Maison royale grouille déjà de monde en partance pour Dakar. A 5 km de là, le village de Thiaré Ndialgui. A la sortie de ce tout nouveau chef-lieu de communauté rurale, le voyageur est guidé par un panneau situé à gauche et qui pointe sa flèche vers le nord. Sur ce dernier, les écritures sont à peine lisibles mais, avec un peu d’effort intellectuel on parvient à lire la mention suivante : «Mausolée de l’Almamy Maba Diakhou Bâ.»
Suivant les indications, une piste sablonneuse se dégage malgré les tiges de mil qui, secouées par le vent, obstruent le passage à certains endroits. Sans compter les tiges d’épineux qui non seulement nous piquent aux jambes mais en plus s’accrochent aux habits. En ces lieux, la crainte de se perdre face aux multiplicités des pistes est réelle. Mais la volonté d’atteindre le but est plus forte.
Fandane, l’accueillante
Enfin, un hameau ! Il est 8h 13mn. Sur ce qui semble être une place publique, deux garçons âgés à peu près d’une dizaine d’années. L’un d’entre eux confirme que cette localité est bien Fandane, avant de pointer son index vers l’Est et d’indiquer que le gardien du mausolée de Maba Diakhou habite dans la dernière maison. A la porte de cette vaste concession, un vieux à califourchon sur un âne, s’apprêtait à partir en brousse pour chercher du fourrage pour ses animaux domestiques. Il nous indique la case du gardien du mausolée. Ayant entendu notre conversation, un jeune d’une trentaine d’années, à la silhouette svelte sort de sa chambre et vient à notre rencontre. Il s’appelle Mamadou Ndiaye, un fils du gardien.
Après les salamalecs d’usage et les explications quant à l’objectif de la visite en ces lieux, Ibrahima Ndiaye, le gardien du mausolée, nous reçoit. Là aussi, la compréhension est de mise et l’accueil chaleureux, une fois expliqué l’objet de la visite. «Continuez sur cette route, le mausolée se trouve non loin d’ici. Je vous y rejoins tout à l’heure. Mais, je crains que vous ne puissiez y accéder en moto parce que ces derniers temps, il y avait beaucoup d’eau sur le chemin», dira le vieux. Son fils se veut moins alarmiste : «C’est vrai que deux véhicules de touristes européens se sont embourbés là-bas il y a quelques jours seulement mais, l’eau s’est un peu retirée et vous pourrez passer.» A quelques dizaines de mètres à l’Est de cette maison, on peut apercevoir de loin le chantier du mausolée. Sur plusieurs centaines de mètres, un bois composé essentiellement d’arbustes appelés kinkeliba en wolof est traversé.
L’Almamy dans un bâtiment de 6m2
Enfin, le fameux mausolée ! Il est 8h 20mn. Au milieu des arbustes et des champs de mil, se dresse un bâtiment de 6m², en chantier depuis le 18 mai dernier. Un peu à droite se trouve un lieu de prière. Derrière, deux arbres et un tas de béton que des gens malintentionnés n’hésitent pas à venir voler. Seuls les cris des insectes et le gazouillement des oiseaux venus s’approvisionner dans les champs de mil aux alentours perturbent la quiétude des lieux.
A l’intérieur de cet édifice, se trouve la chambre mortuaire de l’Almamy du Rip que vient d’ouvrir le vieux Ibrahima Ndiaye accompagné de son fils Mamadou. Dans cette chambre, il y a la sépulture de Maba Diakhou recouverte de sable fin sur lequel est écrit à la main le nom du Prophète Mohamed (Psl). Une grosse pierre placée à droite indique la position de la tête du défunt. Tout autour, on sent l’humidité du sol, conséquence sans doute de l’eau de pluie qui s’y infiltre souvent à travers les nombreuses fissures des murs et du toit en ardoise. D’après le gardien, il arrive que cet endroit soit complètement inondé. A deux reprises au moins, il y a chassé des serpents dont un boa venu s’y réfugier.
A en croire Birane Bâ, petit-fils et représentant de la famille de Maba Diakhou à Diakhao, cet édifice en construction et qui a remplacé l’ancien mur de clôture du mausolée, a englouti à ce jour la somme de 1 million 23 000 francs Cfa provenant exclusivement des cotisations des petits-fils de l’Almamy. En raison de l’hivernage, les travaux sont momentanément à l’arrêt. Mais, M. Ba n’y est pas allé du dos de la cuillère pour déplorer les vieilles promesses non tenues de l’Etat. «Nous condamnons avec la dernière énergie l’attitude de l’Etat parce que nous pensons qu’il devrait y avoir une plus grande considération pour ce mausolée qui est aussi important que ceux qui se trouvent dans les autres localités du pays. L’Etat doit respecter la promesse que le ministre de la Culture, Mame Birame Diouf, avait faite en 2008. Il avait dit que l’Etat allait dégager 50 millions de francs pour la restauration du mausolée. Et à chaque fois que nous organisons la journée de prière annuelle à Fandane, les représentants de l’Etat réitèrent cette promesse sans que cela ne soit jamais suivi d’un acte concret», s’indigne-t-il. Toutefois, le frère aîné de l’actuel maire de Fatick, Mactar Ba, n’a pas manqué de saluer le geste du Conseil rural de Thiaré Ndialgui qui, après délibération, leur a octroyé 3 ha de terres. Cela permettra en plus de la restauration du mausolée, d’édifier une mosquée et un institut islamique sur ce site.
Le mausolée de l’Almamy du Rip est situé à 9 km à l’est de Diakhao dans un endroit appelé mbeel Fandane (marigot de Fandane en sérère), entre les villages de Thiouthioune-Mbalème à l’est, Fandane à l’ouest, Somb au sud et de Boof-Ndémène au nord. C’est ici que s’est écrite l’une des plus belles pages de l’histoire du royaume du Sine avec la fameuse «bataille de Fandane-Thiouthioune» plus connue sous le nom de «bataille de Somb».
Jusqu’à la fin de l’année 1866, une sorte de paix tacite semblait exister entre Maba Diakhou (1809-1867) et Coumba Ndoffène Famaak (senior). Ce dernier a été le 48e roi du Sine d’après la liste des rois établie par Niokhobaye Diouf. Il a régné de 1853 à 1871. Si l’Almamy s’était abstenu d’attaquer le Sine, c’est qu’il se conformait aux conseils de son guide spirituel El Hadj Omar Tall qui lui avait demandé de ne pas s’en prendre aux sérères du Sine qui, même n’étant pas des musulmans, ne constituaient nullement un danger pour la communauté musulmane. Mais, les choses allaient évoluer au cours des premiers mois de l’année 1967. Coumba Ndoffène avait pris conscience que le Sine était devenu la cible principale de Lat Dior et de Maba Diakhou. Les troupes de ces deux hommes conduites par le premier, envahirent le Sine au moment où Coumba Ndoffène s’attelait à renforcer la sécurité de son royaume. Nous sommes en juin 1867. Un auteur comme Niokhobaye Diouf, membre de la famille royale du Sine, désigne ce coup de main de Lat Dior sous l’appellation «surprise de Keur Ngor» tandis que le professeur Mbaye Guèye suivant une tradition qu’il a recueillie auprès du saltigué Waly Senghor de Tagdiam en 1979, soutient que Coumba Ndoffène était bel et bien à Diakhao le jour de cette attaque au cours de laquelle la capitale du Sine fut livrée aux flammes. A en croire toujours Mbaye Guèye : «Si les gens du Sine s’évertuèrent à accréditer la version de la présence de Coumba Ndoffène à Keur Ngor au moment de l’attaque, c’est qu’on voulait éviter de voir naître un courant défaitiste face à l’impérialisme deMaba.»
Après cet épisode, Coumba Ndoffène réunit son conseil de guerre pour délibérer sur la conduite à tenir. Au terme de cette rencontre, il fut retenu de déclarer la guerre à Maba Diakhou. Sémou Diouf, 2e personnage dans l’ordre de succession au trône se chargea de se rendre à Nioro pour notifier la déclaration de guerre du Sine au marabout du Rip. Ce dernier prit acte de cette déclaration de guerre et réunit à son tour son Etat-major, lequel le dissuada d’attaquer le Sine pendant l’hivernage parce que les saltigués sérères étaient réputés capables de faire tomber la pluie à n’importe quel moment de cette saison. Mais Maba, sentant son honneur bafoué, n’a pas cru devoir prendre en compte ces conseils de ses proches collaborateurs. Pendant ce temps, le roi du Sine était en train de réorganiser ses forces. Il convoqua à Diakhao tous les saltigués du Sine. Un d’entre eux, Laba Boof, promit de faire tomber la pluie pour mouiller la poudre de Maba le jour de la bataille. Une promesse qui sera respectée. Le 18 juillet 1867, à Mbeel Fandane, les armées coalisées de Maba Diakhou et de Lat Dior livrèrent bataille face à celle de Coumba Ndoffène. Vers le milieu de la journée, les guerriers de Lat Dior se désolidarisèrent d’avec ceux de Maba et quittèrent le champ de bataille. Après cette désertion des hommes de Lat Dior, Maba est pris en tenaille par les armées de Coumba Ndoffène. L’Almamy du Rip qui voulait islamiser le Sine perdit la vie au cours de cette bataille ainsi que plusieurs autres personnes des deux côtés.
N’ayant pas digéré cette défaite, les marabouts du Rip sous la conduite de Mamou Ndari, successeur de Maba, ont par la suite tenté de mener des offensives contre le Sine, en vain.
Flou sur les circonstances de la mort
A propos des circonstances dans les quelles l’Almamy du Rip est mort dans le Sine, il est intéressant de noter qu’il y a une grande controverse. Selon Niokhobaye Diouf à travers les nombreuses traditions recueillies dans le pays sérère, Maba Diakhou a été tué par les guerriers de Coumba Ndoffène. Et M. Diouf d’aller plus loin en laissant entendre : «Le corps de Maba fut coupé en morceaux. C’est Makhoukhédia que l’on enterra à cette place même que l’on considère à tort comme la tombe de Maba. Les morceaux du corps de Maba furent emmenés et enterrés à travers tout le Sine (…). La peau qui servait de tapis de prière au marabout et son Coran restèrent au Sine.» Naturellement, cette thèse de Niokhobaye est balayée d’un revers de la main par les descendants de Maba. Un d’entre eux, Birane Ba, représentant de la famille de l’Almamy à Diakhao et âgé aujourd’hui de 62 ans contre attaque : «Ce que dit Niokhobaye Diouf dans son ouvrage est contraire à la vérité. En 1965, je suis allé voir le dernier roi du Sine Mayécor Diouf (Ndlr : il a régné de 1924 à 1969). C’est lui en personne qui m’a dit que personne des Sine-Sine n’a vu le corps de Maba. Ce dernier n’a été aperçu que par un seul peulh qui lui a offert du lait à Khodjil dans le Diaoulé la veille de sa mort et c’est ce peulh-là qui est venu avertir le Bour Sine de la présence du marabout dans le territoire du Sine. C’est ensuite que le Sine s’est organisé et a rencontré Maba non pas à Somb mais entre Thiouthioune et Fandane dans un marigot nommé mbeel Fandane. Maba, se sentant vaincu, a ordonné à son lieutenant de le tuer et de l’enterrer avant que ces mécréants ne touchent à son corps et c’est ce qui a été fait. C’est après que Abdou Ba, un de ses lieutenants est monté sur le cheval Repe ndao de Maba, il a pris la peau de prière que Maba tenait ainsi que son livre de Coran. C’est ce Abdou Ba qui a été tué et que les autres confondent au marabout en disent qu’ils lui ont coupé son bras droit et sa tête pour l’enterrer à la place publique de Diakhao. Le roi Mayécor m’a dit que ce n’est pas vrai parce qu’avant que les guerriers du Sine n’encerclent la troupe de Maba, ce dernier était déjà mort et enterré. Après m’avoir dit ça, le roi m’a orienté vers Mbadatte chez un grand connaisseur sérère nommé Kossène o Migne… C’est Mayécor même qui m’a poussé à m’intéresser à l’histoire.»
Quoi qu’il en soit, ce qui est au moins certain 145 ans après ce douloureux évènement, c’est que la plaie semble s’être cicatrisée entre les familles de Maba Diakhou et de Coumba Ndoffène. La preuve, chaque année, les petits-fils de ces deux grandes figures de l’histoire de notre pays se donnent rendez-vous à Fandane pour une journée de prière au cours de laquelle des chants coraniques fusent de partout. Ce qui montre que la volonté de l’Almamy du Rip de faire du Sine une terre d’islam, s’est quelque part réalisée.
Pour ceux qui espéraient voir en ce mythique endroit un chef-d’œuvre architectural, la surprise est énorme. La déception aussi. Et difficile de comprendre quatre ans après la pose de la première pierre pour la restauration de ce mausolée, que la situation soit encore à ce stade.