Depuis que le Code des Marchés publics est mis en œuvre, quels enseignements majeurs en retenez-vous ?
La réforme des marchés publics engagée en 2008 procède d’un diagnostic profond mettant en relief l’inefficience et l’inefficacité des dépenses publiques. Ce constat a été fait au niveau de l’espace UEMOA car, faudrait-il le rappeler, la réflexion a été engagée dans une dynamique communautaire. Les différents pays membres avaient senti la nécessité impérieuse de développer la coopération intracommunautaire à travers une convergence économique solide, structurée autour de la commande publique. La réflexion a été menée dans une approche participative, impliquant les différentes composantes directement impliquées ou intéressées à la bonne exécution de la commande publique. C’est ainsi qu’à côté de l’Administration et du secteur privé, la société civile et les partenaires techniques et financiers ont réfléchi et travaillé ensemble, pour la définition d’un nouveau cadre réglementaire, législatif et institutionnel plus performant et mieux à même de garantir la bonne application des grands principes relatifs à la lutte contre la corruption, le libre accès à la commande publique, l’égalité de traitement des candidats et la promotion des petites et moyennes entreprises.
Le Sénégal a transposé depuis janvier 2008, à la grande satisfaction des autorités communautaires, les différentes directives de l’UEMOA, notamment les directives 4 et 5 portant respectivement procédures de passation, d’exécution et de règlement des marchés publics et des délégations de service public d’une part et contrôle et régulation d’autre part.
Aujourd’hui à l’an six de la réforme, le Sénégal s’est positionné comme une référence en matière de bonne gouvernance dans le domaine des marchés publics. Les partenaires techniques et financiers le citent partout comme un modèle de réussite et l’UEMOA le recommande comme un exemple d’inspiration. Le Responsable du Programme de Coordination des Réformes budgétaires et financières (PCRBF) du ministère de l’Economie et des Finances qui a piloté le projet dans sa phase de conception ne rate jamais d’occasions pour apprécier le leadership et la qualité managériale de l’institution. Certes tout n’est pas parfait. Des réglages s’imposent et les dispositions pertinentes seront régulièrement envisagées à bonne date.
Toutefois, je ne peux m’empêcher de magnifier la disponibilité et la bonne collaboration des différents acteurs de la commande publique engagés à la bonne application des règles de passation des marchés.
S’il est reconnu que la transparence s’est beaucoup améliorée dans le système de passation des marchés, il n’en demeure pas moins que beaucoup d’acteurs fustigent les lenteurs dans les procédures. Partagez vous leurs avis ?
La célérité dans les règles et procédures de passation des marchés est un facteur clef d’appréciation de l’efficacité recherchée. Dès lors, l’une des préoccupations essentielles de l’autorité en charge de la réglementation est d’arriver à concilier l’exigence de transparence à l’impérieuse nécessité d’exécuter les marchés dans des délais raisonnables. L’exercice n’est pas simple car les impératifs de sécurité et de transparence exigent souvent des procédures assez contraignantes et des délais de publicité relativement longs pour éviter toute forme d’asymétrie d’information.
Si l’on se réfère aux dispositions actuelles du Code des Marchés publics, on se rend compte qu’il faut environ 188 jours pour passer un marché par appel d’offres. Sous ce rapport, la critique est fondée. D’un autre côté, il faut voir ce que le nouveau dispositif a apporté en termes de transparence et de sécurité juridique dans les marchés. Nous pouvons affirmer que le secteur privé local a eu plus de chance de remporter des marchés à chaque fois qu’elle a su démontrer sa compétitivité. Le jeu de la concurrence a permis une réduction substantielle des dépenses publiques mais aussi une meilleure qualité des ouvrages qui sont de plus en plus conformes aux spécifications techniques. Toutefois, l’ARMP a tenu compte des griefs soulevés par les autorités contractantes et a formulé une nouvelle proposition de réforme du Code des Marchés publics fondée principalement sur la réduction des délais de passation des marchés et l’allégement des procédures de contrôle a priori qui sont les deux principaux facteurs des lenteurs.
Le Premier ministre du Sénégal a appelé à des concertations sur le Code des Marchés que vous aviez boycottées. Y a-t-il depuis, un rapprochement entre les positions du Gouvernement et celles de l’ARMP ?
L’ARMP est rattachée à la Primature au plan institutionnel. C’est un organe de régulation doté de réels pouvoirs et d’une certaine indépendance fonctionnelle certes. Mais elle ne peut se permettre et ne se permettra jamais certains comportements. Elle n’a pas pris part à la rencontre organisée par le ministère de l’Economie et des Finances sur décision du Conseil de Régulation qui avait préféré que soit organisée d’abord une concertation entre les deux structures pour harmoniser les points de vue et rencontrer les différents acteurs sur la base d’une proposition commune. Et cela, d’autant plus que l’ARMP venait juste de finaliser un nouveau projet de réforme du code. Toutefois, il faut signaler que ce dysfonctionnement n’a eu aucune incidence sur les relations de travail entre les deux structures qui se sont retrouvées depuis, avec l’appui de la Banque mondiale, pour s’accorder sur les dispositions à modifier.
De plus en plus d’autorités procèdent à des consultations restreintes (salle de conférence pour le sommet de la Francophonie, attribution du marché des engrais…) sans que cela se justifie par une «urgence impérieuse». L’ARMP veille-t-elle au grain ?
L’ARMP perdra sa notoriété et sa réputation d’institution de régulation crédible le jour où elle acceptera de compromettre son indépendance en fermant les yeux ou en restant autiste sur des dysfonctionnements majeurs. La régulation est un exercice permanent de pilotage du cadre réglementaire. Le régulateur a l’obligation de rendre compte et de jouer à fond les règles de transparence vis-à-vis de l’ensemble des acteurs. L’entente directe est un mode de passation prévu par notre dispositif réglementaire. Elle est régulière, lorsqu’elle obéit aux critères en vigueur. Dans le subconscient de beaucoup de Sénégalais, entente directe rime avec fraude, corruption, détournement ou favoritisme. Sans exclure de telles éventualités, il importe de considérer qu’un marché peut être conclu par entente directe de manière tout à fait régulière et transparente. D’ailleurs, ce mode de passation est admis dans toutes les procédures de référence.
Cela dit, nous déplorons toute tendance au recours abusif de cette pratique qui ne garantit pas toujours les règles d’équité et de transparence dans les marchés.
Le marché relatif aux études d’architecture de la salle de conférence du sommet de la francophonie a été autorisé par le Comité de Règlement des Différends de l’ARMP.
Selon certains, le manque de compétences au niveau des autorités contractantes est l’une des causes des retards notés dans les procédures. L’ARMP s’investit-elle dans la formation de ces acteurs?
La formation et le renforcement des capacités constituent un levier essentiel pour le développement et la professionnalisation des acteurs de la commande publique et demeurent, à bien des égards, la clé de la mutation du service public. Les enjeux de bonne gouvernance incitent à mettre un accent particulier sur le volet formation où nous consacrons, annuellement, des sommes importantes. Au-delà des programmes de formation certifiante et qualifiante dispensés gratuitement aux acteurs de l’administration, du secteur privé et de la société civile, l’ARMP a mis en place, dans l’objectif de disposer d’un corps de spécialistes, un master en Management et Régulation des Marchés publics. Ce master, faut-il le rappeler, est le fruit d’une collaboration tripartite entre l’ARMP, l’Université de Dakar et l’Ecole nationale d’Administration. Il est organisé en co-diplomation sur 12 mois.
Il faut aussi rappeler qu’en ce qui concerne la formation capacitante, l’ARMP organise près d’une soixantaine de séminaires par an au profit d’environ 2000 personnes. Ce programme est généralement articulé autour de 3 parties : la législation des marchés publics (préparation, attribution et exécution des marchés publics) ou le cadre réglementaire des marchés publics ; les dossiers types des marchés de fournitures et services, de prestations intellectuelles et de travaux qui a pour objectif d’uniformiser les dossiers de marchés ; le système intégré de gestion des marchés en tant qu’outil de modernisation de l’environnement des marchés.
Pensez-vous à des formules pour réduire les délais dans la passation des marchés, notamment en ce qui concerne les recours ?
Le Comité de règlement des différends tient une session hebdomadaire pour instruire et trancher les litiges qui naissent dans le processus de passation des marchés publics. Nous sommes régulièrement l’objet de plusieurs requêtes en contentieux. L’instruction prend beaucoup de temps et la collecte d’information pour organiser le contradictoire se heurte toujours à de sérieuses difficultés. L’analyse des dossiers montre aussi que beaucoup de saisines ne sont pas fondés et retardent les procédures. Pour cette raison, nous avons décidé d’instituer, à partir du mois d’août, le cautionnement des recours.
Par Babacar DIONE
La réforme des marchés publics engagée en 2008 procède d’un diagnostic profond mettant en relief l’inefficience et l’inefficacité des dépenses publiques. Ce constat a été fait au niveau de l’espace UEMOA car, faudrait-il le rappeler, la réflexion a été engagée dans une dynamique communautaire. Les différents pays membres avaient senti la nécessité impérieuse de développer la coopération intracommunautaire à travers une convergence économique solide, structurée autour de la commande publique. La réflexion a été menée dans une approche participative, impliquant les différentes composantes directement impliquées ou intéressées à la bonne exécution de la commande publique. C’est ainsi qu’à côté de l’Administration et du secteur privé, la société civile et les partenaires techniques et financiers ont réfléchi et travaillé ensemble, pour la définition d’un nouveau cadre réglementaire, législatif et institutionnel plus performant et mieux à même de garantir la bonne application des grands principes relatifs à la lutte contre la corruption, le libre accès à la commande publique, l’égalité de traitement des candidats et la promotion des petites et moyennes entreprises.
Le Sénégal a transposé depuis janvier 2008, à la grande satisfaction des autorités communautaires, les différentes directives de l’UEMOA, notamment les directives 4 et 5 portant respectivement procédures de passation, d’exécution et de règlement des marchés publics et des délégations de service public d’une part et contrôle et régulation d’autre part.
Aujourd’hui à l’an six de la réforme, le Sénégal s’est positionné comme une référence en matière de bonne gouvernance dans le domaine des marchés publics. Les partenaires techniques et financiers le citent partout comme un modèle de réussite et l’UEMOA le recommande comme un exemple d’inspiration. Le Responsable du Programme de Coordination des Réformes budgétaires et financières (PCRBF) du ministère de l’Economie et des Finances qui a piloté le projet dans sa phase de conception ne rate jamais d’occasions pour apprécier le leadership et la qualité managériale de l’institution. Certes tout n’est pas parfait. Des réglages s’imposent et les dispositions pertinentes seront régulièrement envisagées à bonne date.
Toutefois, je ne peux m’empêcher de magnifier la disponibilité et la bonne collaboration des différents acteurs de la commande publique engagés à la bonne application des règles de passation des marchés.
S’il est reconnu que la transparence s’est beaucoup améliorée dans le système de passation des marchés, il n’en demeure pas moins que beaucoup d’acteurs fustigent les lenteurs dans les procédures. Partagez vous leurs avis ?
La célérité dans les règles et procédures de passation des marchés est un facteur clef d’appréciation de l’efficacité recherchée. Dès lors, l’une des préoccupations essentielles de l’autorité en charge de la réglementation est d’arriver à concilier l’exigence de transparence à l’impérieuse nécessité d’exécuter les marchés dans des délais raisonnables. L’exercice n’est pas simple car les impératifs de sécurité et de transparence exigent souvent des procédures assez contraignantes et des délais de publicité relativement longs pour éviter toute forme d’asymétrie d’information.
Si l’on se réfère aux dispositions actuelles du Code des Marchés publics, on se rend compte qu’il faut environ 188 jours pour passer un marché par appel d’offres. Sous ce rapport, la critique est fondée. D’un autre côté, il faut voir ce que le nouveau dispositif a apporté en termes de transparence et de sécurité juridique dans les marchés. Nous pouvons affirmer que le secteur privé local a eu plus de chance de remporter des marchés à chaque fois qu’elle a su démontrer sa compétitivité. Le jeu de la concurrence a permis une réduction substantielle des dépenses publiques mais aussi une meilleure qualité des ouvrages qui sont de plus en plus conformes aux spécifications techniques. Toutefois, l’ARMP a tenu compte des griefs soulevés par les autorités contractantes et a formulé une nouvelle proposition de réforme du Code des Marchés publics fondée principalement sur la réduction des délais de passation des marchés et l’allégement des procédures de contrôle a priori qui sont les deux principaux facteurs des lenteurs.
Le Premier ministre du Sénégal a appelé à des concertations sur le Code des Marchés que vous aviez boycottées. Y a-t-il depuis, un rapprochement entre les positions du Gouvernement et celles de l’ARMP ?
L’ARMP est rattachée à la Primature au plan institutionnel. C’est un organe de régulation doté de réels pouvoirs et d’une certaine indépendance fonctionnelle certes. Mais elle ne peut se permettre et ne se permettra jamais certains comportements. Elle n’a pas pris part à la rencontre organisée par le ministère de l’Economie et des Finances sur décision du Conseil de Régulation qui avait préféré que soit organisée d’abord une concertation entre les deux structures pour harmoniser les points de vue et rencontrer les différents acteurs sur la base d’une proposition commune. Et cela, d’autant plus que l’ARMP venait juste de finaliser un nouveau projet de réforme du code. Toutefois, il faut signaler que ce dysfonctionnement n’a eu aucune incidence sur les relations de travail entre les deux structures qui se sont retrouvées depuis, avec l’appui de la Banque mondiale, pour s’accorder sur les dispositions à modifier.
De plus en plus d’autorités procèdent à des consultations restreintes (salle de conférence pour le sommet de la Francophonie, attribution du marché des engrais…) sans que cela se justifie par une «urgence impérieuse». L’ARMP veille-t-elle au grain ?
L’ARMP perdra sa notoriété et sa réputation d’institution de régulation crédible le jour où elle acceptera de compromettre son indépendance en fermant les yeux ou en restant autiste sur des dysfonctionnements majeurs. La régulation est un exercice permanent de pilotage du cadre réglementaire. Le régulateur a l’obligation de rendre compte et de jouer à fond les règles de transparence vis-à-vis de l’ensemble des acteurs. L’entente directe est un mode de passation prévu par notre dispositif réglementaire. Elle est régulière, lorsqu’elle obéit aux critères en vigueur. Dans le subconscient de beaucoup de Sénégalais, entente directe rime avec fraude, corruption, détournement ou favoritisme. Sans exclure de telles éventualités, il importe de considérer qu’un marché peut être conclu par entente directe de manière tout à fait régulière et transparente. D’ailleurs, ce mode de passation est admis dans toutes les procédures de référence.
Cela dit, nous déplorons toute tendance au recours abusif de cette pratique qui ne garantit pas toujours les règles d’équité et de transparence dans les marchés.
Le marché relatif aux études d’architecture de la salle de conférence du sommet de la francophonie a été autorisé par le Comité de Règlement des Différends de l’ARMP.
Selon certains, le manque de compétences au niveau des autorités contractantes est l’une des causes des retards notés dans les procédures. L’ARMP s’investit-elle dans la formation de ces acteurs?
La formation et le renforcement des capacités constituent un levier essentiel pour le développement et la professionnalisation des acteurs de la commande publique et demeurent, à bien des égards, la clé de la mutation du service public. Les enjeux de bonne gouvernance incitent à mettre un accent particulier sur le volet formation où nous consacrons, annuellement, des sommes importantes. Au-delà des programmes de formation certifiante et qualifiante dispensés gratuitement aux acteurs de l’administration, du secteur privé et de la société civile, l’ARMP a mis en place, dans l’objectif de disposer d’un corps de spécialistes, un master en Management et Régulation des Marchés publics. Ce master, faut-il le rappeler, est le fruit d’une collaboration tripartite entre l’ARMP, l’Université de Dakar et l’Ecole nationale d’Administration. Il est organisé en co-diplomation sur 12 mois.
Il faut aussi rappeler qu’en ce qui concerne la formation capacitante, l’ARMP organise près d’une soixantaine de séminaires par an au profit d’environ 2000 personnes. Ce programme est généralement articulé autour de 3 parties : la législation des marchés publics (préparation, attribution et exécution des marchés publics) ou le cadre réglementaire des marchés publics ; les dossiers types des marchés de fournitures et services, de prestations intellectuelles et de travaux qui a pour objectif d’uniformiser les dossiers de marchés ; le système intégré de gestion des marchés en tant qu’outil de modernisation de l’environnement des marchés.
Pensez-vous à des formules pour réduire les délais dans la passation des marchés, notamment en ce qui concerne les recours ?
Le Comité de règlement des différends tient une session hebdomadaire pour instruire et trancher les litiges qui naissent dans le processus de passation des marchés publics. Nous sommes régulièrement l’objet de plusieurs requêtes en contentieux. L’instruction prend beaucoup de temps et la collecte d’information pour organiser le contradictoire se heurte toujours à de sérieuses difficultés. L’analyse des dossiers montre aussi que beaucoup de saisines ne sont pas fondés et retardent les procédures. Pour cette raison, nous avons décidé d’instituer, à partir du mois d’août, le cautionnement des recours.
Par Babacar DIONE