La demeure n’a rien d’un fastueux palais. De loin, elle pourrait même sembler modeste comparée aux villas immenses et tape-à-l’œil de la Petite-Côte, où la bourgeoisie dakaroise aime à passer vacances et week-ends. Ici, nulle colonne, moulure ou dorure, mais une vaste maison contemporaine aux lignes épurées dont la terrasse fleurie surplombe une belle plage privée. Tout autour, un magnifique parc d’une douzaine d’hectares, au bord de l’océan, où s’entremêlent acacias, palmiers, lauriers roses et bougainvilliers.
Nichée dans une alcôve naturelle de la baie de Popenguine, à quelque 70 km au sud de Dakar, cette bâtisse confortable n’a pas les dimensions imposantes du Palais de la République, mais constitue la seconde résidence des chefs de l’État depuis près de soixante ans. Un havre de paix à l’abri des regards, où les présidents successifs ont pris l’habitude de se retirer pour profiter de leurs vacances ou pour échapper, le temps d’un week-end, à l’agitation de la capitale.
La base arrière de Léopold Sédar Senghor
Ancienne résidence du gouverneur de l’Afrique-Occidentale française (AOF), ce site paisible a été récupéré par l’État sénégalais à l’indépendance, en 1960. Léopold Sédar Senghor est vite tombé sous son charme et a lancé des travaux d’embellissement. Au fil des ans, il en a fait sa base arrière, s’y rendant fréquemment le week-end lorsqu’il n’était pas en déplacement à l’étranger.
Amoureux des lieux, le président poète lisait ou écrivait durant de longues heures dans son bureau ou face à la mer. Il y recevait également proches et collaborateurs. « Tous les jours, il se promenait dans le jardin avec son chien. Cela lui arrivait aussi de faire un tour en pédalo », se rappelle un employé du domaine. Le dimanche, il se rendait à pied à la basilique de Popenguine – haut lieu du catholicisme sénégalais, où se déroule chaque année un important pèlerinage – pour assister à la messe.
À Noël, Senghor avait l’habitude de recevoir les enfants du village à la résidence ou de se déplacer jusqu’à l’école pour une distribution de cadeaux. Une tradition perpétuée par son successeur, Abdou Diouf, qui se rendait lui aussi fréquemment à Popenguine avec son épouse Élisabeth, notamment pour les fêtes de fin d’année. « Il aimait beaucoup cet endroit, il y passait du temps en famille. Pendant qu’il se reposait, ses enfants montaient à cheval dans le parc », se rappelle ce même employé.
S’il n’a pas fait perdurer les écuries, Abdoulaye Wade a régulièrement séjourné dans cette agréable maison durant ses deux mandats, de 2000 à 2012. Notamment certains week-ends, quand il ne se retirait pas au Méridien Président (rebaptisé depuis King Fahd Palace) ou au Terrou-Bi, deux grands hôtels de la capitale. Parfois seul, parfois accompagné de sa femme Viviane et de ses enfants, Syndiély et Karim – lequel appréciait notamment d’y pratiquer le jet-ski.
La quiétude de Popenguine
Wade en profitait pour prendre du recul et peaufiner ses dossiers au calme. Plusieurs remaniements ministériels auraient été concoctés en ce lieu, en compagnie de ses conseillers. « Il nous faisait parfois venir pour évoquer les affaires en cours, puis nous allions marcher un peu sur la plage pour discuter de manière plus informelle », raconte l’un de ses anciens ministres. « Gorgui » (« le vieux », en wolof) aimait à ce point le site de Popenguine que ses proches avaient envisagé qu’il puisse s’y installer après son départ du pouvoir, en 2012 – une option finalement écartée.
Depuis son accession à la magistrature suprême, Macky Sall y est moins assidu que ses prédécesseurs. « Plus par manque de temps que d’envie, car il est très occupé à Dakar toute l’année », justifie une source à la présidence. L’actuel chef de l’État y prend tout de même ses quartiers au mois d’août pour une semaine ou deux, pendant les vacances gouvernementales. Il se repose, lit ou fait du sport – du vélo d’appartement, installé dans son bureau, ou des parties de football, disputées sur la plage avec les membres de sa sécurité rapprochée.
Comme ses aînés, Macky Sall profite aussi de la quiétude de Popenguine pour y recevoir des hôtes. Il y a notamment organisé des réunions en plein air avec de hauts responsables de l’État ou convié certains dirigeants étrangers à déjeuner, comme le roi du Maroc, Mohammed VI – qui était déjà venu sur place sous Abdoulaye Wade –, ou son homologue guinéen, Alpha Condé.
Des travaux de rénovation
Au fil de leurs mandats, les présidents sénégalais ont effectué divers travaux de rénovation ou d’agrandissement du « second palais ». Après Senghor, qui remodela largement la résidence principale, ses successeurs mirent la main à la pâte. Abdou Diouf fit par exemple construire deux maisons supplémentaires dans le parc afin d’accueillir son personnel et ses invités.
Abdoulaye Wade, qui aimait être surnommé « le bâtisseur », se lança quant à lui dans de vastes travaux. Il fit ériger un mur de soutènement le long de la plage et de la côte environnante pour la protéger contre les flots menaçants de l’océan. « Il se passionnait pour la lutte contre l’érosion côtière, qui est un enjeu environnemental important au Sénégal, confie l’un de ses proches. Il a beaucoup réfléchi à cette question, et Popenguine fut pour lui un terrain d’expérimentation. » Il commença aussi la construction d’une salle de banquet et de deux autres bâtiments, qui ne furent jamais achevés et semblent désormais à l’abandon. Quant à Macky Sall, il fit aménager des espaces de réception et des salons extérieurs sous de grandes tentes blanches, en surplomb de la plage.
« C’est un site splendide, mais il est construit sur une zone très calcaire. Nous menons donc des travaux d’entretien ou de rénovation en permanence », explique Djouga Sylla Diouf, qui dirige le bureau d’architecture et de conservation des palais nationaux.
Épicentre du domaine présidentiel de Popenguine, la résidence principale bénéficie des meilleurs soins. Elle mesure près de 400 m², et se compose de trois chambres, d’un salon-salle à manger, d’un patio et d’un bureau avec vue sur l’océan. Le mobilier est à l’image de la demeure : luxueux mais relativement sobre, avec des canapés en cuir, des fauteuils en rotin et quelques objets d’art africain en guise de décoration. Avec ses larges baies vitrées, tout le rez-de-chaussée donne sur la terrasse, où sont disposés quelques transats et des meubles de jardin. Quant aux repas du « PR » et de ses hôtes, ils sont mitonnés dans un petit bâtiment voisin, qui abrite la cuisine.
Disséminées dans le parc, autour de l’héliport, cinq autres maisons accueillent la suite du chef de l’État lorsqu’il est présent. Le dispositif peut varier, mais le président ne se déplace jamais sans son aide de camp – qui dispose de son propre logis, à proximité de la résidence principale –, plusieurs gardes du corps, des maîtres d’hôtel et des cuisiniers du Palais. « Nous sommes généralement prévenus quelques jours à l’avance, afin de préparer au mieux son arrivée, explique Moustapha Khouma, l’intendant de la résidence. Une fois qu’il est là, nous faisons tout pour nous montrer discrets et ne pas le déranger. »
Entouré par un mur d’enceinte hérissé de barbelés, le domaine est protégé nuit et jour par une trentaine de gendarmes. Certains sont postés sur la plage ou dans les deux miradors qui l’entourent, notamment pour s’assurer que les piroguiers n’entrent pas dans l’aire marine de la résidence, délimitée par de grosses bouées blanches flottant à plusieurs centaines de mètres du rivage.
Une attention particulière accordée à Popenguine
À l’image de Mamadou, né à Popenguine il y a une soixantaine d’années et qui se dit « fier d’avoir accueilli les présidents successifs » dans sa commune, les habitants ne semblent pas dérangés par la présence régulière de ces hôtes de marque.
Au contraire, ils s’estiment plutôt chanceux de vivre près de la résidence, en raison des aménagements dont ils bénéficient : amélioration des réseaux de fourniture d’eau et d’électricité, installation d’une antenne relais téléphonique, rénovation fréquente de la route… Popenguine a toujours fait l’objet d’une attention particulière au plus haut niveau de l’État, grâce à son « palais » méconnu, abri intime des quatre présidents qu’a connus le pays.
La maison blanche de Gorée
Beaucoup de Sénégalais l’ignorent mais la présidence de la République possède un troisième palais, sur l’île de Gorée, face à la capitale. Une grande maison blanche construite à l’époque coloniale, située près de la mosquée.
Comme la résidence de Popenguine, celle-ci appartenait au gouverneur de l’Afrique-Occidentale française (AOF) avant de devenir la possession de l’État au moment de l’indépendance. Érigée en bord de mer, avec vue sur le cap Manuel, elle dispose d’un petit jardin, d’un grand salon et de deux chambres à l’étage.
Fréquentée sous Senghor, elle est peu à peu tombée dans l’oubli, jusqu’à se retrouver dans un piteux état. Elle est toutefois en cours de réhabilitation depuis 2014, sur ordre de Macky Sall. Le président a demandé que cette coquette maison goréenne soit rénovée, afin qu’il puisse s’y rendre lui-même ponctuellement ou y loger ses hôtes de passage à Dakar.