TORTURE ET TRAITEMENTS INHUMAINS: Le Sénégal en flagrant délit

Dire que le Sénégal est un «Etat de torture» n’est pas exagéré partant de ce qui se passe dans les lieux de privations de liberté, avec les méthodes utilisées par les officiers de police judicaire pour extorquer des preuves. Les défenseurs des droits de l’homme sont catégoriques. Durant les 10 dernières années, on assiste à une récurrence de la pratique des mauvais traitements dans les commissariats et brigades avec à la clé, plus d’une dizaine de morts.


.   Au Sénégal, depuis plus de 10 ans, on note une récurrence de la pratique de la torture et des mauvais traitements dans des lieux de privation de liberté. Selon Me Assane Dioma Ndiaye, président de la Ligue sénégalaise des droits de l’homme (Lsdh), durant la dernière décennie, «plus d’une dizaine de personnes ont été victimes de torture ou de mauvais traitement, la plupart étaient en garde à vue dans un commissariat de police ou brigade de gendarmerie».

L’avocat prenait part  à une conférence sur «la problématique de la torture au Sénégal : quelles solutions ?», organisée par l’Action des chrétiens pour l’abolition de la torture (Acat) en partenariat avec Amnesty International, la Rencontre Africaine pour la Défense des Droits de l’Homme (Raddho) et la Lsdh (Ligue sénégalaise des droits de l’homme) hier, mardi, à la Fondation Konrad Adenauer. La rencontre rentre dans le cadre de la Journée internationale de soutien aux victimes de la torture. Selon Me Assane Dioma Ndiaye, en matière de droits humains, il y a des interdits non dérogatoires dont la torture, l’esclavage, etc..

Aussi, vu la «récurrence des cas de torture ces douze dernières années, on peut parler de pratique structurelle impunie ». Or, la Convention de l’ONU de 1884 contre la torture «oblige l’’Etat, en cas de torture déclarée, d’ouvrir au moins une enquête». Faute de quoi on assiste à une violation des droits des personnes à un procès, des engagements internationaux.

De l’avis du juriste, les problèmes qui font que la pratique persiste sont, entre autres, la reconnaissance de preuve, l’indifférence des autorités, le problème de certificat médical car le médecin peut constater, mais n’a pas vocation d’imputer. Aussi le juge « refuse» de voir les faits, les preuves matérielles, cautionnant du coup la torture.

C’est pourquoi il préconise comme solutions le respect des instruments, à travers : une déclaration solennelle de l’Etat ;  un suivi afin que les crimes évoqués fassent systématiquement l’objet d’enquêtes ; l’interdiction de l’application  de la loi sur la base des aveux obtenus par torture ; l’éducation aux droits humains et une sensibilisation des hommes de loi.
Il y a aussi l’éducation des magistrats, la possibilité d’autosaisie du parquet, la suppression des ordres de poursuite, l’institution de l’avocat de la première heure comme c’est le cas en France, la nullité des procès verbaux établis sur la base de la torture pour extorquer des aveux. Cela suppose une volonté politique manifeste reconnaît-il, précisant qu’il y a beaucoup de choses à corriger. «Le juge vous relaxe lors d’un procès et aussitôt après, le pénitencier qui est à côté vous remet les menottes, faisant fi de la décision de justice qui vient de tomber».
Plus de 10 Sénégalais morts victimes de maltraitance des hommes de loi
Face à la recrudescence de la torture ces dernières années, plus de dix Sénégalais « ont été tués » dans les commissariats de police et brigades de gendarmerie alors qu’ils étaient en garde à vue. Il s’agit de Alioune Badara Mbengue, torturé le 12 juillet 2002 par six gardes pénitentiaires  de la prison de Rebeuss de Dakar, Bineta Guèye, Margo Samb, Ousmane Ndiaye, Serigne Boubou Ndoye et El Hadji Malick Samb violentés et torturés le 26 septembre 2006 par des éléments de la Légion de la gendarmerie d’intervention (Lgi) à Ouakam.

Un an après, Dominique Lopy est décédé dans les locaux du commissariat de Kolda le 13 avril 2007. Le président du Conseil régional avait porté plainte contre lui pour vol d’un poste téléviseur, fait qu’il a toujours nié. Aussi, Alioune Badara Diop a rendu l’âme dans les locaux du commissariat de Ndorong à Kaolack, le 13 décembre de la même année.

La liste des victimes s’allonge avec Aïda Camara, tuée dans les locaux du commissariat central de Dakar, le 27 novembre 2008, Mamadou Bakhoum retrouvé mort  le 23 janvier 2009 dans les locaux de la brigade de gendarmerie de Karang, poste frontalier avec la Gambie et Aboubacry Dia, tué dans les locaux du commissariat de Matam le 18 novembre 2009.

S’y ajoutent Abdoulaye Wade Yinghou, tué le 14 juillet 2010 par des policiers du commissariat de Yeumbeul, lors d’une manifestation et Yatma Fall, torturé dans les locaux du commissariat de police de Saint-Louis, le 13 avril 2011. Il y a également le cas de Malick Ba à Sangalkam, tué à bout portant lors d’une manifestation.

En plus de ces cas, plusieurs personnes on fait l’objet de tortures et de peines ou « traitement cruels, inhumains et dégradant » à la veille de la présidentielle de février 2012 et durant la campagne. D’autres auraient été tués comme  Ousseynou Seck à Gand Yoff et Mamadou Diop écrasé par un camion de police à la place de l’Obélisque, etc.

Qu’est ce que la Torture ?

Selon la Convention internationale contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, du 10 décembre 1984 en son article I alinéa 1, «… le terme ‘’torture’’ désigne tout acte par lequel une douleur ou des souffrances aiguës, physiques ou mentales, sont intentionnellement infligées à une personne aux fins d’obtenir d’elle ou d’une tierce personne des renseignements ou des aveux, de la punir d’un acte qu’elle ou une tierce personne a commis ou est soupçonnée d’avoir commis, de l’intimider ou de faire pression sur elle ou d’intimider ou de faire pression sur une tierce personne, ou pour tout autre motif fondé sur la discrimination quelle qu’elle soit, lorsqu’une telle douleur ou de telles souffrances sont infligées par un agent de la fonction publique ou toute autre personne agissant à titre officiel ou à son instigation ou avec son consentement exprès ou tacite. Ce terme ne s’étend pas à la douleur ou aux souffrances résultant uniquement de sanctions légitimes, inhérentes à ces sanctions ou occasionnées par elles».

Sud Quotidien

Moussa Sarr

Mercredi 27 Juin 2012 15:02

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