Il fait partie de cette nouvelle génération d’économistes et de financiers africains qui n’ont pas lu René Dumont, «L’Afrique noire est mal partie» et qui partagent avec la zambienne Dambisa Moyo l’aversion à l’assistanat et la conviction que le développement d’un pays se fait via un secteur privé fort. Trop jeune pour avoir vécu la désillusion des indépendances, et s’imprégner de la thèse de l’afro pessimisme. Trop vieux, pour réclamer des comptes aux aînés.
Bref, Thierry Tanoh est un africain décomplexé qui défend l’Afrique loin des incantations du genre «black is beautiful». Mais avec expertise et pragmatisme, comme en témoigne l’un de ses collaborateurs à la Banque mondiale. Né le 21 avril 1962 à Abidjan, il fera ses classes au lycée national de Yamoussoukro, puis à l’institut national polytechnique de Houphouët Boigny. Lui aussi s’envolera en France, rêve de nombre de diplômés ivoiriens, mais pour en revenir, muni du précieux parchemin d’expert comptable.
Le temps de confronter la théorie et la pratique à la Direction des Etudes et Contrôle des Grands Travaux (DCGT), le voilà qui postule pour la prestigieuse Harvard, à l’heure où ses amis de classe, tentaient de se positionner dans l’ambiance fin de règne caractéristique de la Côte d’Ivoire d’alors.
Le voilà donc dans la fameuse université, bénéficiant de la bourse d’études «programme Fulbright», qui exige des africains sélectionnés après un parcours marathonien à quitter les USA dés la fin de leurs études. Thierry Tanoh n’avait pas besoin d’une telle garantie. Dés la fin de ses études, en 1994, il intègre la Société Financière Internationale (SFI).
Tour à tour chargé d’investissements, chargé des secteurs de la Chimie, chargé de l’Asie, de l’Amérique Latine de l’Europe de l’Est, il se perfectionne, amasse de l’expérience et se documente. En 2001, il est à Rio de Janeiro dans les montages de projets. Le sacre intervient en 2003 quand il est nommé Directeur Afrique à la direction Afrique de Johannesburg. En juillet 2006, il est directeur régional Afrique subsaharienne. Il franchira une marche supplémentaire en 2008, en devenant le premier francophone à occuper un poste de vice président opérationnel. Vice président pour l’Afrique subsaharienne, l’Amérique Latine et Caraïbes et Europe de l’Ouest de la SFI.
Que retenir de son long passage à la SFI sinon l’augmentation exponentielle des interventions de la filiale de la World Bank en Afrique qui ont franchi allégrement la barre des 2 milliards de dollars?
Voilà ce qu’il déclarait à Fraternité Matin au lendemain de sa nomination : «J’ai décidé, après 18 ans passés dans le groupe de la banque mondiale, de prendre une retraite anticipée pour rejoindre le secteur privé et continuer le travail entrepris dans la sous région. Je suis un très grand partisan de l’intégration sous régionale. Dans ce contexte-là, je pense que le groupe Ecobank entre dans la ligne de ce à quoi j’aspire et ce pourquoi j’ai travaillé toute la vie». Presque, une profession de foi.
A 49 ans, ce pur produit de la Banque mondiale atterrit dans une banque panafricaine présente dans 34 pays et qui est en phase d’internationalisation définitive. Avec Thierry Tanoh, l’institution panafricaine acquiert une marge supplémentaire de visibilité sur la scène internationale. Parviendra-t-il à consolider une banque qui pèse 20 milliards de dollars de total bilan et seulement quelques millions de dollars de bénéficies nets?
Comment se fera la répartition des rôles entre le ghanéen Albert Essien et la Sénégalaise, Evelyne Tall, ses deux directeurs adjoints qui se présentent comme les gardiens du temple ? Durant ses premières sorties à la presse, le manager a fait montre de pragmatisme. Pour lui, Ecobank doit jouer le fer de lance du secteur bancaire en Afrique subsaharienne. La nomination de Thierry Tanoh est une bonne nouvelle pour le secteur privé africain dont il était l’ardent défenseur au sein de la SFI. Voilà ce qu’il confiait à Les Afriques en 2008: «En Afrique, le coût du financement local est très élevé. J’ai un ami et entrepreneur qui me disait l’autre jour qu’il empruntait à plus de 15%. Ce taux place la barre de la rentabilité un peu trop haut pour une entreprise. Par ailleurs, l’environnement des affaires n’évolue favorablement que depuis très peu de temps, y compris pour les banques qui ont souvent du mal à obtenir des garanties fiables, comme par exemple sur un bien immobilier dont la propriété ne serait pas parfaitement formalisée, ou bien dans un contexte où la justice n’est pas toujours impartiale».
Un diagnostic qui a valeur de programme pour celui qui invitait alors les banques à plus d’engagements «les banques doivent peut-être davantage jouer leur rôle. Si elles se limitent à investir dans les bons ou les emprunts obligataires d’Etat, elles ne contribuent pas beaucoup au développement d’une économie dynamique». Trois ans sont passés depuis et Thierry Tanoh, a, aujourd’hui, l’occasion inouïe de transformer l’essai.
Sources: lesafriques.com