Youssou Touré Coordonnateur national des enseignants de l’Apr : «Dans notre parti, le mécontentement est général et généralisé»


Il n’a pas perdu cette verve qui a construit sa réputation. Youssou Touré, coordonnateur national des enseignants de l’Apr, analyse la situation du pays sous plusieurs angles. S’il voit le remaniement comme une nécessité, il persiste à signer que le mécontentement est général et généralisé. Nommé pourtant Pca de la Bhs, il soutient mordicus qu’il est aussi frustré.
Le président a procédé récemment à son premier remaniement ministériel. Croyez-vous que c’était le moment opportun pour l’effectuer ?
C’est une excellente chose car,  le but est de mieux prendre en charge les préoccupations des populations. Il y a la demande sociale qui est aujourd’hui très forte, l’économie de notre pays est gravement déstructurée. Tout est à reconstruire. De ce point de vue, il lui faut une équipe à la hauteur des ambitions qu’il s’est fixé pour le pays. Il faudrait que les uns et les autres fassent preuve de retenue et qu’on mette en avant les compétences quelle que soit par ailleurs leur appartenance politique. Quand le président sent que les populations ne sont pas satisfaites, c’est tout à fait normal qu’il réajuste. En revanche,  il faut admettre que tout n’était pas mauvais dans le gouvernement sortant.

Insinuez-vous que le gouvernement sortant n’ait pas été à la hauteur en ne réussissant pas à satisfaire rapidement les préoccupations des populations ?
Nous sommes dans un monde d’imperfection. Même ce nouveau gouvernement ne pourra pas répondre à toutes les attentes. L’es­sentiel, c’est de rétablir d’abord l’Etat de droit. Le président de la République a hérité d’un pays presque en lambeaux. Il ne pouvait pas y avoir de continuité dans la façon de faire ou de procéder. En un mot,  il faut reprendre tout à zéro et restaurer les fondamentaux de la République. Sur ce point,  je voudrais dénoncer l’attitude d’une certaine Société civile qui fait dans la confusion des rôles et même se trompe de combat. Et surtout, lui dire qu’on ne peut pas faire le bilan d’un gouvernement qui n’a même pas fait un an ou deux ans. En tout cas, il y a de ces comportements qui risquent de remettre en cause les fondements de la République. Elle n’y gagne rien en déstabilisant l’institution de la Répu­blique que constitue Macky Sall. Je ne suis pas quelqu’un de partisan. S’il y a des dysfonctionnements,  j’appelle à la rectification. Même Idrissa Seck l’a reconnu malgré ce qu’il a ajouté par la suite.
Tout a été tellement dilapidé que le gouvernement n’arrive même pas à faire face à certaines urgences. Je vous donne l’exemple de l’Assemblée nationale qui a du mal à fonctionner correctement faute de moyens. Idem pour la présidence de la République. Le président de la République ne dispose pas d’une baguette magique pour régler tous les problèmes tout de suite. Le véritable bilan, c’est dans 5 ans, c’est-à-dire à l’expiration du mandat présidentiel.

L’Alliance pour la République (Apr) a-t-elle les ressources humaines de qualité pour gérer un gouvernement ?
C’est un faux débat, une illusion fausse. C’est même manqué de respect à l’Apr en disant que nous n’avons  pas assez de ressources pour former un gouvernement. Beaucoup de compétences sont laissées en rade par Macky Sall qui ne veut pas faire de ce gouvernement une propriété de l’Apr. Ceux qui le disent ne comprennent rien du tout. On fait fausse route en pensant qu’être cadre consiste à se faire un peu partout des diplômes, ça ne veut rien dire. En 2000, quand Wade mettait en place son gouvernement, il demandait aux gens d’exhiber leurs diplômes. A quoi nous ont servi ces diplômes ? Ce sont ces supposés diplômés qui ont mis ce pays à genoux. Ce n’est pas une question de diplômes, c’est une question de va­leur, de compétences, de valeurs humaines et de profil moral. Malheureusement dans ce pays, c’est la confusion. A un moment, Wade était dans l’obligation de réviser la vision qu’il avait du cadre. Lula (ex-chef de l’Etat brésilien) a été un grand président, adulé dans son pays sans aucun cursus universitaire.

Comment expliquez-vous le limogeage de Alioune Badara Cissé ?
Macky n’a pas mis à l’écart Alioune Badara Cissé encore moins Mbaye Ndiaye, ce sont  des camarades de parti. Ils le restent et le demeurent. Maintenant, les exigences d’un Etat n’ont rien à voir avec l’amitié. Un Etat c’est un Etat. Un Etat c’est la neutralité dans le choix des collaborateurs. De ce point de vue, le président a fait des appréciations qui n’ont rien à voir avec les relations d’amitié. Il n’en demeure pas moins que les deux restent de grands responsables de l’Apr.

Abc a cependant soutenu qu’il ne veut plus d’une nomination…
Abc est un grand intellectuel qui comprend les enjeux du moment. S’il a fait cette déclaration, il faut la prendre comme telle c’est-à-dire une déclaration à chaud. Néanmoins,  il demeure un grand ami de Macky Sall. Le Président ne se préoccupe pas d’avoir un 2e mandat. Sa principale préoccupation reste la relance de l’économie sénégalaise. Au sein de l’Apr, il y a effectivement beaucoup de frustrations et de mécontentements. Moi-même, je suis un frustré. Nous n’avons même pas l’impression que nous avons le pouvoir. Tellement, nous vivons dans des conditions difficiles. Je le dis de façon honnête et sincère même s’il y aura des commentaires pour m’insulter à l’Apr. Le mécontentement est général et généralisé. Il ne faut pas voir en filigrane certaines nominations pour croire que tout va bien. Contrairement à ce qui a été dit, la coalition Macky2012 n’a pas été laissée en rade. Ils sont à l’Assemblée et dans plusieurs départements ministériels. Le seul problème est qu’il n’a pas voulu faire comme Wade en privilégiant son parti au détriment des urgences nationales. Il a même eu le courage de confier les rênes de l’Assemblée nationale à un allié qui peut même être un adversaire. Pourtant, Macky Sall en a fait la deuxième personnalité de l’Etat.

Vous dites que votre préoccupation c’est de la bonne gouvernance, alors comment justifier les lenteurs notées dans les audits ?
Auditer n’est pas se venger. Auditer ce n’est pas non plus tout de suite et maintenant punir les coupables. La justice a ses lenteurs qui se justifient d’ailleurs. Quand il faut punir quelqu’un, le priver de sa liberté,  il faut prendre le temps qu’il faut. C’est la presse même qui a révélé qu’un mandat d’arrêt international est lancé contre Karim Wade. Cela prouve que la justice est en train de fonctionner correctement. C’est à elle de décider du sort des uns et des autres. Avant Macky tel n’était pas le cas.

Est-ce une bonne chose de changer de ministre de l’Education dans le contexte actuel ?
A chaque fois que les conditions l’exigent, le président peut changer de ministre. Par contre, là où il y a problème c’est dans le choix des hommes surtout pour le ministère de l’Education. Le ministre de l’Education aurait dû être choisi à partir d’une vaste concertation. Le président aurait dû consulter tous les ordres d’enseignements ainsi que les partenaires sociaux pour demander leur avis par rapport au profil du futur ministre de l’Education. On aurait même pu attendre la fin des états généraux de l’Education.

Lors de la campagne électorale, le candidat Macky Sall avait promis des négociations sérieuses avec les enseignants.  7 mois après, les syndicalistes affirment que le gouvernement n’a pas appliqué un seul point d’accord signé avec l’ancien régime ?
Le gouvernement sortant faisait dans la surenchère financière. C’était un gouvernement qui ne croyait pas en ce qu’il faisait et pariait sur l’achat des consciences. La plupart du temps, le régime sortant signait les yeux sortants. Nous ne remettons pas en cause les acquis, c’est la continuité de l’Etat. L’actuel gouvernement doit obligatoirement appliquer l’ensemble des points d’accord sans réserve.

Au cours d’une émission télévisée, Youssou Touré avait promis de démissionner  de la fonction publique. Mais, il n’est pas passé à l’acte…
C’est une erreur dans le discours que j’ai commise. Je ne suis pas parfait. Mais tout ça, c’est Kalidou Diallo (ex-ministre de l’E­ducation avec qui, il était souvent en différend). Quand j’intégrais la fonction pu­blique, il y avait encore Senghor. Effectivement, j’ai démissionné de mon poste de directeur d’école. Mais, pourquoi démissionner de la fonction publique ? Elle appartient au Peuple sénégalais. Les gens peuvent dire que j’ai fait du wax waxeet. Mais, ça ne me fait rien du tout. Cependant, je ne pense pas mériter certains quolibets parce que j’ai rendu de grands services à l’école  sénégalaise en tant qu’instituteur.

Comment youssou Touré est venu en politique ?
Je suis entré en politique par effraction à la suite d’une audience avec le Président Macky Sall. J’ai vu en lui des qualités que j’ai décelées chez Abdou Diouf : courtoisie, politesse, détachement des choses terrestres et il m’a convaincu. J’ajoute que j’ai payé cher pour mon militantisme parce que Kalidou Diallo m’a relevé pour fait de grève à plusieurs reprises. En esprit libre, je porte la contradiction quand il le faut. En directoire, les réunions ne sont pas sécurisées et tout se retrouve à la place publique. Alors, je me suis dis qu’il faut trouver d’autres canaux pour dire ce que je pense. Moi, je ne tire pas ma notoriété de l’Apr ni du Pds. Je me suis fait tout seul dans ce pays. On ne m’a jamais donné de postes, je n’ai jamais été responsabilisé à quelque niveau que ce soit.

Vous êtes Pca de la Banque de l’habitat du Sénégal (Bhs). Votre nomination avait suscité quelques commentaires surtout que la Banque centrale (Bceao) avait suggéré à la Bhs de chercher un meilleur profil…
Je ne pense pas que ces rumeurs ou ces genres de réticences proviennent de la banque. Par rapport à mon profil, je ne sais pas ce qu’on me reproche. Je suis à peu près sûr que ces informations ne peuvent pas provenir des banquiers car, un banquier est astreint à l’obligation de réserve.
Nous avons hérité du pouvoir de Wade ; la destruction des valeurs, les gens sont devenus gratuitement méchants. Le pouvoir de l’argent a pris le dessus sur la moralité, la grandeur d’âme et la générosité d’esprit. C’est ça aussi la vérité. Par rapport à mon parcours au sein de l’Apr, je ne pense pas qu’il y ait dans le parti quelqu’un de plus méritant que moi. Je peux me tromper mais, je ne le pense pas. Je me suis sacrifié pour ce parti : la fronde au sein de l’Ois, les agressions que j’ai subies viennent de mon refus de transhumer. Au­jourd’hui, tout Sénégalais rêve d’être un jour président de la Répu­blique. Si j’avais une prière à formuler, je dirai qu’après Macky Sall  il faut  que ce soit moi.

Moussa Sarr

Mercredi 7 Novembre 2012 12:48

Dans la même rubrique :