Le verdict du procès de George Zimmerman souligne un problème lié au système juridique américain : il a été acquitté conformément à la loi de la Floride.
Pour expliquer la régularité de cette décision, il faut revenir en 2005, lorsque la loi "Stand your ground" a été votée dans cet État du sud à l'époque dirigé par Jeb Bush, le frère de George W. Elle permet de pratiquer l’auto-défense avec très peu de garanties. George Zimmerman a donc tué "légalement" car il a fait jouer son droit à se défendre en faisant usage d'une arme à feu.
Des lois défavorables aux minorités
Une dérive politique et judiciaire est à l'oeuvre aux États-Unis. Une autre décision vient accentuer le sentiment d'injustice lié à ce verdict : le mois dernier, un arrêt de la Cour suprême a invalidé une partie du Voting Rights Act de 1965 qui mettait sous surveillance fédérale en matière de lois électorales plusieurs États du sud. Cela ouvrira la porte à la légalisation de toutes les lois des Etats visant à exclure du vote certains groupes plutôt en faveur des démocrates : les noirs, les hispaniques et les pauvres principalement.
Il y a un divorce entre la loi et ce que commanderaient la politique et l’éthique : sur le plan juridique, il est facile de comprendre pourquoi George Zimmerman a été acquitté et, dans le même temps, il y a un problème éthique et politique de racisme dans cette décision. Il y a une contradiction entre ce que dit la loi et ce que l’éthique et la politique réclameraient.
Le bon sens voudrait qu’une personne tuée alors qu’elle ne portait pas d’armes soit considérée comme une victime et que l’auteur du tir soit condamné. Ce n’est pas la décision rendue par la justice en Floride.
Quand un grand groupe industriel rédige des textes de loi
Comment tout cela est-il possible ? Ces lois sont mises en place par des lobbies, et notamment KOCH industries. Via l'American Legislative exchange council (ALEC), ils proposent aux représentants des textes de loi clé en main. Ces lois sont réactionnaires et permettent ensuite d’avancer sur des causes réactionnaires. Dans le cas du texte "Stand your ground", cela donne ainsi du pouvoir aux membres du lobby des armes à feu et à l’extrême droite en général. Conséquence : ces textes et leur application touchent ensuite les minorités en difficultés, principalement les noirs et les hispaniques.
L’explication est simple : ces groupes investissent partout. KOCH industries a énormément d’argent et en met dans de nombreuses causes : ils ont récemment financé une nouvelle aile du Metropolitan museum à New York.
En politique, ils ont décidé de travailler d’abord au niveau local parce que leurs ressources financières leur permettent d’intervenir de manière très efficace. Ils se mettent d’accord avec des députés qui ont peu de moyens et qui sont réactionnaires. Ils leur donnent des textes de loi prêts à être proposés tout en les finançant pour leurs campagnes et leur réélection. Il y a une expression consacrée aux États-Unis précisément pour ça, on parle de "money talks".
L'apathie du peuple
Et le peuple est inefficace face à cela. À New York, où je suis en ce moment, il y a eu des manifestations contre l’acquittement de George Zimmerman. J’en ai vu une et j’ai pu constater que cela ne draine qu’une minorité de personnes. Leur colère est compréhensible et légitime car ce jeune noir a été tué alors qu’il n’était pas armé.
At first glance you may think this photo (of an American flag burning) is in the Middle East somewhere. Look again. pic.twitter.com/6Kt3fD2T72
— Shirin Barghi (@shebe86) July 15, 2013
(Au premier coup d'oeil, vous pourriez penser qu'il s'agit d'une photo (d'un drapeau américain qui brûle) prise au Moyen Orient. Regardez encore.)
Il est difficile de ne pas conclure qu’il n’a pas été tué à cause d’un préjugé racial. Mais cela ne se traduit pas au niveau judiciaire.
Les grands combats des années 60 et 70 à l’initiative des étudiants ou plus récemment le mouvementOccupy Wall Street ont quasiment disparu. La montée de la misère et les craintes vis-à-vis du contexte économique, du chômage ont provoqué une apathie de la population qui ne sait plus comment protester. Les groupes protestataires sont donc de moins en moins actifs.
D’autre part, les démocrates qui ont critiqué cette décision de justice s’alimentent aux mêmes sources financières, ce qui pourrait expliquer leur relatif silence et leur manque d’organisation pour lutter contre cette dérive. En effet, le parti démocrate est coopté par la rhétorique réactionnaire puisque les mêmes groupes financent leurs membres les plus conservateurs. L'organisation de l'extrême-droite est bien pensée et efficace et donne lieu à ce genre d’acquittement qui semble injuste à une partie de la population.
La gauche incapable
Une grande partie de personnes défavorisées partagent les valeurs américaines de l’individualisme. Le droit de porter une arme est très populaire aux États-Unis. Ceux qui pourraient s’opposer à ces lois sont donc paradoxalement favorables au port d’armes car c’est considéré comme un aspect de la liberté. Les groupes réactionnaires ont réussi leur faire croire ça. Ce système de valeurs empêche donc une évolution des lois. Même si, in fine, ces lois ont des effets discriminants.
Les États du sud, du Texas à la Floride, ont voté ces textes. La reprise en main par les conservateurs et les réactionnaires est donc en marche.
Cette affaire montre l’importance du pouvoir attribué à ceux qui font passer les lois. Il faudrait que la gauche s'organise, soit plus structurée pour contrer ces avancées. Mais la réaction de Barack Obama après le verdict – un appel au calme – prouve qu’ils sont encore sur la défensive et que leur action est limitée par les valeurs individualistes de leur électorat.
Les États-Unis souffrent d’une réaffirmation de ces valeurs, d’un individualisme tous azimuts renforcé par la crise, et qui débouche sur des politiques de droite. La gauche doit prendre conscience de ces changements. Barack Obama semble incapable de faire changer cela et ce sont encore les pauvres et les minorités qui en pâtissent.
Propos recueillis par Mélissa Bounoua.